La Turquie confrontée aux limites de la diplomatie chinoise des vaccins
Le Monde, le 13/04/2021
Par Marie Jégo (Istanbul, correspondante)
Au moment où les contaminations sont au plus haut, avec 54 562 nouveaux cas enregistrés lundi 12 avril, Pékin tarde à livrer à la Turquie les doses du vaccin CoronaVac, le fer de lance de sa campagne de vaccination.
Des personnes patientent à l’intérieur d’un hôpital pour être vaccinés à Ankara, en Turquie, samedi 3 avril 2021. BURHAN OZBILICI / AP
Grâce au vaccin CoronaVac fabriqué en Chine, la Turquie a pu faire vacciner 18,7 millions de personnes, sur une population totale de 83 millions. Deux problèmes viennent toutefois assombrir la campagne de vaccination turque, lancée sur des chapeaux de roues le 14 janvier.
Non seulement des doutes surgissent quant à la fiabilité du CoronaVac, qualifiée récemment de « peu élevée » par Gao Fu, un haut responsable chinois de la santé, mais les doses du vaccin viennent à manquer, le laboratoire Sinovac, qui le fabrique, n’étant visiblement pas en mesure d’assurer les approvisionnements prévus vers la Turquie.
Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, s’en est plaint. Recevant Wang Yi, le chef de la diplomatie chinoise, à Ankara, le 26 mars, il a insisté sur le respect des accords passés. « Nous étions convenus de la livraison d’un premier lot de 50 millions de doses du vaccin chinois. Nous ne les avons pas encore toutes reçues. Or elles devaient arriver avant fin février », a expliqué le numéro un turc.
A ce jour, 28 millions de doses ont été livrées alors qu’Ankara a commandé au total 100 millions de doses du CoronaVac. La première moitié devait être livrée avant fin février et la seconde d’ici à fin avril. Hormis le CoronaVac, la Turquie a reçu quelques millions de doses du vaccin Pfizer-BioNTech. Des discussions sont en cours avec la Russie pour l’achat de doses du Spoutnik V, sans résultats pour le moment.
Cas multipliés par cinq
Véritable bouée de sauvetage, car peu onéreux et facile à conditionner, le CoronaVac illustre les limites de la « diplomatie des vaccins » proposée par Pékin aux pays émergents confrontés à la pandémie. Faute de doses suffisantes, la campagne de vaccination en Turquie voit sa cadence ralentir. Selon les prévisions, 105 millions de doses auraient dû être injectées à la fin du mois d’avril. On est loin du compte.
En Turquie, les experts s’interrogent sur les raisons de ce retard. Les capacités de production de la Chine sont mises en cause. Mais des doutes aussi surgissent sur la fiabilité des autorités chinoises, soupçonnées d’exercer un chantage sur le gouvernement turc à propos de la minorité ouïgoure hébergée dans le pays. Pékin réclamerait l’extradition des représentants ouïgours les plus actifs politiquement, le vaccin serait l’instrument de ce chantage.
Ce coup de frein dans la campagne de vaccination saisit le pays au moment où les contaminations journalières marquent un record, avec 54 562 nouveaux cas enregistrés le 12 avril, du jamais-vu depuis le début de la pandémie.
Au total, 34 182 personnes sont morts du virus depuis le début de 2020, un bilan largement sous-évalué, selon les médecins, nombreux à signaler que des patients morts du Covid-19 ont en fait été enregistrés comme morts d’une insuffisance respiratoire ou d’un arrêt cardiaque, sans qu’il soit fait mention du virus.
Alors qu’au début du mois de mars le taux de contamination tournait autour de 10 000 nouveaux cas chaque jour, il a désormais été multiplié par cinq. « Chaque jour, le nombre de cas et le nombre de décès augmentent. Les unités de soins intensifs sont à la limite de leur capacité », a déclaré samedi 10 avril Ismail Cinel, chef de l’Association turque de soins intensifs.
Restrictions pour le Ramadan
De nombreux hôpitaux ont dû transformer leurs blocs opératoires en unités de soins intensifs. Malgré cela, des familles se plaignent de ne pas pouvoir faire hospitaliser leurs malades en unités de soins intensifs. Les infections ont grimpé en flèche peu après que le gouvernement a assoupli les restrictions sanitaires début mars, autorisant la réouverture des écoles, des restaurants et des cafés.
Le Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur), au pouvoir depuis 2002, n’a pas arrangé les choses en organisant plusieurs congrès régionaux, puis un congrès national à Ankara le 24 mars, durant lesquels les militants étaient le plus souvent au coude à coude et sans masques ou avec le masque porté en mode foulard, indifférents aux normes de distanciation physique.
Résultat, sur les 81 provinces qui composent le pays, 58 sont aujourd’hui répertoriées en « rouge », avec des contaminations massives, dont les deux plus grandes villes, Istanbul, Ankara, ainsi que la région de Samsun, sur les bords de la mer Noire, la plus contaminée de tout le pays.
Sommé d’imposer un confinement dur par les professionnels de la santé, le gouvernement prévoit de nouvelles restrictions pour le mois sacré du ramadan qui s’est ouvert mardi 13 avril. Ecoles, cafés et restaurants vont fermer. Les repas collectifs de rupture du jeûne ont été interdits, les autorités religieuses incitent la population à prier à la maison. Un confinement général sera imposé pendant les week-ends. Le couvre-feu actuel, de 21 heures à 5 heures du matin, reste en vigueur.
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