Le virus
Trump : fin de la démocratie américaine ?
*
En amont des élections américaines 2020, qui auront lieu le 3 novembre,
nous publions ici la version intégrale de l’article de Charles-Philippe David
qui paraîtra dans une version légèrement raccourcie dans Diplomatie n°106
(novembre-décembre 2020), en partenariat avec
Le
4 novembre, suivez la soirée électorale américaine à 0h30 avec la Chaire
Raoul-Dandurand
[Le
3 novembre à 18h30, heure de Montréal]
La mise en garde de la
nièce du président, Mary Trump, partagée par une majorité de commentateurs, est
sans équivoque : « Si mon oncle obtenait un second mandat, ce serait
la fin de la démocratie américaine. (1) » Elle attribue
notamment la cause de ce malheur à la capacité de Donald Trump
à attiser la division. Certes, la polarisation politique aux États-Unis
n’est pas un phénomène nouveau et des affrontements parfois violents ont
émaillé l’histoire du pays — dès la fin du XVIIIe siècle,
ou au cours des années 1850, 1890, 1960, tour à tour sur des enjeux
comme l’ingérence étrangère, l’esclavage et les droits civiques, ou pour des
raisons identitaires (liées à l’enjeu de l’immigration), économiques
(l’accroissement des inégalités) ou institutionnelles (l’augmentation des
prérogatives de l’exécutif). Ce qui est inédit aujourd’hui, c’est que
« pour la première fois de leur histoire, les États-Unis font face à [ces]
quatre menaces simultanément (2) ».
La polarisation politique est exacerbée, les inégalités sont aggravées par la
crise pandémique, le sentiment xénophobe est décuplé par un président qui
exploite les ferveurs antimigratoires, tandis que sa pratique des pouvoirs
présidentiels a érodé la légitimité de la fonction de président. Les
piliers de la démocratie sont ébranlés. Cet état de fait ne remonte pourtant
pas à l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, et ne se réduit
pas à son seul mandat. Des facteurs structurels expliquent en effet la
profonde division entre les Américains, notamment des facteurs politiques et
identitaires associés au système électoral particulier des États-Unis.
L’hyperpolarisation
américaine
Les reculs de la
démocratie américaine ne sont pas nouveaux, et se creusent grandement depuis au
moins le milieu des années 1990 avec la radicalisation graduelle du Parti
républicain au Congrès. Une particularité s’est installée dans le
fonctionnement des partis politiques et rend compte de
l’hyperpolarisation : la disparition de l’aile centre-droite démocrate et
de l’aile centriste et progressiste républicaine. Tandis que le Parti démocrate
s’est métamorphosé en parti « arc-en-ciel », le Parti républicain
s’est essentiellement défini comme celui des Blancs (en particulier des
chrétiens évangéliques). Toute une transformation de l’échiquier politique
s’est ainsi produite dans les dernières décennies — rappelons que les
démocrates promouvaient la cause des conservateurs du Sud et que les
républicains représentaient le parti antiesclavagiste. Parmi les reculs, on assiste
selon certains à une sorte de « nationalisation des politiques
racistes du Sud (3) ». La partisanerie atteint en 2020 des
sommets rarement égalés (comparables à ceux de 1876), ce qui engendre
entre élus, groupes de pression et médias un climat de « guerre
civile » paralysant et sapant le fonctionnement des institutions
politiques. Deux facteurs structurels sont à l’œuvre.
Les biais du système
électoral radicalisent les partis
En premier lieu, le
système électoral américain non seulement favorise l’affrontement quasi
exclusif entre les deux grands partis politiques, mais il les
a transformés en « tribus idéologiques ». Délaissant toute
modération pour plaire à leurs bases, ces partis ont ainsi voulu se
démarquer idéologiquement, si bien que la vision exprimée par Roosevelt en
1944 s’est entièrement réalisée : « Nous devons disposer de deux
véritables partis, un libéral et l’autre conservateur (4) »,
avait-il préconisé. Ses vœux ont été exaucés. Le parti « libéral »
s’est transformé en parti urbain multiethnique et côtier tandis que le parti
« conservateur » s’est retranché dans les terres profondes (de même
que dans les péri-banlieues des villes) et vise la défense d’une seule identité
démographique. Si l’on devait caricaturer, on conclurait qu’il n’y a plus
de libéraux chez les républicains et qu’il n’y a plus de conservateurs
chez les démocrates. Un « virus anti-compromis » semble désormais
prévaloir en tout temps (5).
Le système électoral
est en outre d’une telle complexité qu’il transforme la procédure de vote en
réel champ de bataille : preuves d’identité requises, inscriptions sur les
listes, efforts de suppression de vote (en particulier auprès des minorités
afro-américaine et hispanique), sans mentionner les nombreux projets de
redécoupage électoral qui favorisent le vote du parti qui les parraine (6)…
Pour le journaliste politique Michael Tomasky, le parti qui gagne le droit de
dessiner à sa guise la carte électorale des comtés dans un État acquiert
le pouvoir de déterminer l’issue des élections législatives fédérales et
étatiques, si bien que la plupart des observateurs considèrent que le système
est depuis longtemps brisé. La composition et les règles du Collège électoral
n’arrangent rien. Les grands États peuplés sont sous-représentés alors que ceux
plus petits et moins peuplés sont surreprésentés (ce qui, compte tenu des
tendances politiques traditionnelles de ces territoires respectifs, avantage le
Parti républicain). À titre d’exemple, l’État du Wyoming et ses
600 000 habitants ont la même représentation au Sénat que les
40 millions de personnes vivant en Californie. C’est une situation
que The Economist surnomme « la tyrannie de la
minorité (7) » : les cinq États les moins populeux
récoltent en effet 50 % de grands électeurs en plus et trois fois plus de
sénateurs, par habitant, que les cinq États les plus peuplés. Faut-il alors
être surpris que deux élections présidentielles sur cinq, depuis 2000, aient
mené à la victoire du Parti républicain (avec moins de votes
à l’échelle nationale, mais en emportant la majorité des grands
électeurs) ? En effet, dans une course très serrée, la probabilité que le
candidat républicain l’emporte est 66 % plus forte que pour le candidat
(ou de la candidate) démocrate. La même situation prévaut au Congrès :
ainsi, en 2012, les démocrates ont obtenu un million trois cent mille voix de
plus que les républicains à la Chambre des Représentants, mais ces
derniers ont gagné 33 sièges de plus. Répartis dans les États moins
peuplés, 18 % des électeurs peuvent à eux seuls élire une majorité
républicaine au Sénat. Autrement dit, les 53 sénateurs républicains
représentent moins du tiers de la population américaine et 41 % des
électeurs, alors que les 47 sénateurs démocrates parlent pour 59 %.
Certains estiment donc que les démocrates doivent l’emporter avec au moins sept
points d’avance à la présidentielle et onze à la Chambre pour
être sûrs de gagner et compenser l’effet de la distribution
inégale (autrement appelé l’effet d’inversion) du vote en faveur des
républicains.
Enfin, le discours
civique et la croyance dans les vertus de la démocratie se sont sérieusement
étiolés au cours de vingt-cinq dernières années, et l’une des raisons est
attribuable au rôle joué par un paysage médiatique de plus en plus partisan. En
décrivant les médias conventionnels comme « l’ennemi du peuple »,
Donald Trump a largement contribué à radicaliser le
« tribalisme » politique (8). Il est vrai que le programme
politique du parti républicain s’est substantiellement durci depuis une dizaine
d’années — comme prévu par plusieurs experts — pour devenir un « parti
d’insurgés, […] idéologiquement extrême, méprisant le compromis, mettant en
doute les faits et la science et niant toute légitimité à ses adversaires
[si bien que] Trump est le point culminant de la désintégration du Parti
républicain (9) ». Son ascension représente à la fois le
symptôme et la cause d’une polarisation accrue dans le débat politique. Il
exploite et tire profit de cette polarisation. Pour autant, selon le
journaliste et historien Yoni Appelbaum, « le chemin vers l’enfer est pavé
de républicains (10) » : le parti deviendra minoritaire
avec pour seul objectif de défendre par tous les moyens la cause de la minorité
blanche aux États-Unis, ce qui, selon lui, signifiera la fin des États-Unis, du
moins dans leur forme actuelle — l’autre dimension controversée de la
polarisation.
L’idéologie de la
suprématie blanche attise la haine
En second lieu, Donald
Trump canalise les anxiétés raciales de cette minorité dans une forme
d’ethno-nationalisme qui défend une version restreinte et exclusive de
l’identité américaine. Combien de fois a-t-on entendu, de la part de certains
Américains : « Tout a tellement changé que je me sens comme un
étranger dans mon propre pays. » ? Donald Trump est le premier président
qui prône ouvertement les vertus de n’être le président que d’une partie des
Américains : les Blancs menacés d’Amérique (qui perdront au milieu du
siècle leur statut démographique majoritaire à l’échelle nationale, mais
conserveront tout de même la majorité dans 37 États, qui votent surtout
républicain). Sa seule idéologie est celle « de la suprématie
blanche », dénonce l’écrivain Ta-Nehisi Coates (11). Le
trumpisme a eu raison du Parti républicain. Il l’a transformé de manière
durable en parti dont la raison d’être fondamentale consiste à protéger
l’identité (et le statut économique (12)) des Blancs aux
États-Unis. Cette mission est vouée à l’échec et conduira à des
tensions sociales toujours plus vives au fur et à mesure que la défense de
l’identité traditionnelle blanche ira en s’intensifiant (13). La
peur qui sous-tend cette orientation politique est nourrie par l’immigration de
Latino-Américains, considérée, en très grande partie à tort, comme
illégale — tout comme celle des ressortissants de pays musulmans a été
assimilée sans nuance aucune à la menace terroriste. « Les
politiciens républicains sont de moins en moins timides dans leur promotion des
stéréotypes et des anxiétés raciales et ethniques, exploitant les peurs de la
majorité blanche face aux tendances démographiques adverses et à la fin de
sa prépondérance politique à long terme », écrit John Campbell (14).
Quand la peur fait place à la haine, qu’exploitent en outre des
politiciens xénophobes et nativistes sans scrupules (comme Donald Trump), le
racisme s’avère paranoïaque et endémique. Selon un observateur de longue date,
« une nouvelle droite a émergé aux États-Unis, pour laquelle les
Blancs hétérosexuels chrétiens d’Amérique sont en danger, la famille nucléaire
traditionnelle est en péril, la civilisation occidentale est en déclin, et par
conséquent, les Blancs doivent réaffirmer leur position (15) ».
Donald Trump a saisi habilement l’opportunité pour exploiter cette quête
identitaire. Un nationalisme nouveau genre attise ainsi les braises de la
polarisation. « Pour que l’Amérique blanche survive, l’Amérique doit
mourir. Les républicains ont fait leur choix », résume l’universitaire
Carol Anderson, chercheur en études afro-américaines, qui lie directement la
popularité de Donald Trump en 2016 à la promesse qu’il a faite aux
républicains d’un retour à la domination des Blancs (16)
La pyromanie présidentielle
La meilleure
description du « virus » Trump est celle de David Frum, l’ancien
rédacteur des discours de G. W. Bush, devenu commentateur politique,
qui prédisait déjà en 2017 la corrosion démocratique, la création d’une
« Trumpocratie » qui menacerait les fondements de la république
américaine. « Ce qu’il faut craindre d’une présidence Trump n’est pas tant
le renversement soudain de la Constitution, mais plutôt la paralysie insidieuse
du gouvernement, ce n’est pas tant le mépris ouvert pour les lois que la
subversion accumulée des normes, enfin ce n’est pas tant l’utilisation du
pouvoir pour intimider les dissidents que l’encouragement au recours à la
violence pour radicaliser ses supporters. (17) » Trois ans plus tard,
on ne peut mieux résumer les tendances et la dérive de ce président vers des
formes autoritaires d’abus du pouvoir présidentiel. Donald Trump est passé
maître dans l’art de la pyromanie politique. Celle-ci est exercée de deux
manières : un comportement autoritaire d’une part, l’emploi des méthodes
populistes et de la désinformation d’autre part.
Vers une démocratie illibérale en Amérique ?
En premier lieu, selon
les professeurs Levitsky et Ziblatt, une démocratie meurt et glisse vers
l’autoritarisme lorsque apparaissent le rejet des règles du jeu démocratique,
la contestation de la légitimité des élections, les attaques contre la presse
et les médias, enfin la propension à restreindre les droits et les
libertés (notamment des adversaires politiques) et à vouloir contrôler le
système judiciaire (18). On n’en est pas exactement
là aux États-Unis, sous Trump, mais d’aucuns estiment que les indicateurs sont
passés du vert à l’orange — sinon au rouge — depuis 2017. C’est du
moins ce que pense le politologue Stephen Walt qui en suit l’évolution et
conclut à une tendance négative et inquiétante (19).
L’un de ces indicateurs est la relation des conseillers et hauts fonctionnaires
du gouvernement au chef de la Maison-Blanche : ceux-ci semblent totalement
soumis au président Trump, particulièrement depuis son exonération lors de la
procédure de destitution. L’occupant du bureau Ovale a donc atteint son
objectif d’affaiblir les institutions du « Deep State »
(« État profond »), comme il les surnomme. Certes, le nombre de
« collaborateurs » du président qui acquiescent à ses moindres
désirs et qui défendent ses idées les plus contestables peut à première
vue paraître surprenant. Mais le désir de servir le pouvoir et de gagner
personnellement, conjugué à la peur de contredire le président et de subir
ses représailles, motive une telle loyauté (20). Plusieurs inspecteurs
généraux du gouvernement, qui occupent pourtant un poste neutre et respecté,
ont d’ailleurs été renvoyés pour avoir publiquement levé le voile sur certains
agissements jugés suspects au sein du gouvernement (la même logique s’applique
aux conseillers scientifiques) (21).
Si Donald Trump est
encore président le 20 janvier 2021, il est permis de croire que la
dérive autoritaire prendra de l’ampleur. « S’il est au pouvoir encore
plusieurs années, le dommage à la démocratie américaine sera irréversible
[…] Quatre ans d’une situation d’urgence deviendraient huit ans d’une situation
permanente. (22) » Plusieurs
spécialistes ont ainsi sonné l’alarme en affirmant que les conséquences du
comportement de Donald Trump peuvent créer un terrain fertile pour
l’autoritarisme, du moins pour l’implantation d’une démocratie illibérale (23).
Pour preuve, la volonté affirmée du président de déployer des troupes dans les
villes américaines dans la foulée des manifestations contre la brutalité
policière et le racisme structurel à la suite de la mort de George Floyd
en mai dernier. L’occupant de la Maison-Blanche est-il prêt à tout,
y compris à contester le résultat des élections du
3 novembre ? C’est la question que tout le monde s’est posée
à l’approche de celles-ci, et qui va de pair avec celle de savoir de quels
pouvoirs discrétionnaires présidentiels il serait prêt à user, en évoquant
une situation nationale d’urgence afin de mettre en application des directives
spéciales (24).
Des débats intoxiqués par le populisme et la désinformation
En second lieu, la
combinaison d’un discours populiste efficace et d’une grande maîtrise de la
communication télévisée et numérique a permis à Donald Trump
d’atteindre une symbiose parfaite entre le messager et le message, qui explique
certainement la loyauté fidèle que lui voue sa base électorale et le haut
niveau de polarisation que cette combinaison virale produit (25).
La fracture de la vie politique américaine est d’abord amplifiée par les effets
de son discours populiste. Il excelle dans l’art de diviser, le propre du
populisme, entre bons et méchants, entre « le vrai peuple » et
« l’élite corrompue », et sa stratégie a fonctionné dans la
mesure où sa clientèle politique lui est restée attachée. Il sait exploiter le
chaos et en tirer profit, selon le journaliste Mark Danner qui redoute lui
aussi que Donald Trump ne veuille exploiter une crise qu’il aura créée de
toutes pièces (26).
La fracture de la vie
politique aux États-Unis est ensuite la conséquence d’une désinformation systématique
encouragée par le président lui-même. Il ment beaucoup — au moins six fois par
jour, selon les calculs du Washington Post. Un tel
comportement a pour effet de banaliser ses propos erronés et fantaisistes,
en plus de lui permettre de distraire ses sujets, de déformer les faits et de
minorer ou d’exagérer les menaces liées aux dossiers tels que l’immigration,
l’économie ou la pandémie. En outre, l’ingérence étrangère (russe), le piratage
informatique et les cyberattaques ont contribué à intoxiquer les débats
avec des nouvelles entièrement fabriquées et de la désinformation ciblée pour
tenter d’influencer l’opinion publique (27). Ainsi, en 2016, quelque
125 millions d’Américains ont pu lire sur Facebook du matériel mensonger
entièrement conçu à Moscou et visant à semer la division. Il en est
de même, voire pire, en 2020, considérant notamment les vulnérabilités de
l’infrastructure électorale dans plusieurs États américains. Toutes les
opinions, les thèses et les théories complotistes les plus farfelues peuvent
être exprimées et séduire un auditoire parfois crédule. Dans ce contexte, il
n’est nullement surprenant d’apprendre qu’un nombre appréciable d’Américains
(16 % d’entre eux) estiment que les risques liés à la pandémie sont
exagérés, à l’instar de ce que leur a souvent dit leur président, ou
que le virus a été créé intentionnellement par la Chine afin d’affaiblir
les États-Unis (30 % des républicains).
Les élections de 2020
exposent tous les effets du virus Trump sur la polarisation électorale. On peut
résumer la campagne présidentielle de cette façon : Donald Trump le
pyromane a attisé le feu et alimenté les tensions raciales en soufflant
sur les braises de la violence qui sévit aux États-Unis, en attribuant aux
démocrates la responsabilité du chaos qui prévaut, puis s’est présenté aux
électeurs comme l’homme providentiel à même de rétablir la loi et l’ordre
dans le pays, menacé par des radicaux socialistes. Au-delà du résultat de
l’élection, que nous ne connaissons pas à l’heure d’écrire ces lignes, cette
stratégie sera restée assez douteuse, ne permettant pas de convaincre une
majorité d’électeurs. L’espoir des démocrates et leur stratégie reposent sur le
fort sentiment anti-Trump, autant pour mobiliser leurs différents électorats
que pour maintenir la fragile unité au sein du parti, au moins jusqu’à ce
qu’ils gagnent l’élection. En effet, l’élection n’occulte que temporairement la
polarisation entre les factions (centriste et de gauche) à l’intérieur de
ce parti, ainsi que le faible appui en faveur de Joe Biden chez les jeunes
électeurs (18 à 34 ans) (28). Enfin, il ne faut pas
sous-estimer la volonté de Donald Trump de mener une stratégie de la
« terre brûlée » jusqu’en janvier, susceptible d’infliger à la
démocratie américaine des dommages considérables pouvant paralyser le pays.
Seul un raz-de-marée électoral, un résultat sans ambiguïté, serait en mesure de
restaurer la légitimité de la république et la foi dans les institutions
démocratiques (29).
Notes
(1) Mary
L. Trump, Too Much and Never Enough. How My Family Created the World’s Most
Dangerous Man, New York, Simon and Schuster, 2020, p. 17.
(2) Suzanne
Mettler et Robert C. Lieberman, « The Fragile Republic. American
Democracy Has Never Faced So Many Threats All at Once », Foreign
Affairs, vol. 99, no 5,
septembre-octobre 2020, p. 184.
(3) Robert
Mickey, Steven Levitsky et Lucan Ahmad Way, « Is America Still Safe for
Democracy ? Why the United States Is in Danger of Backsliding », Foreign
Affairs, vol. 96, no 3,
mai-juin 2017, p. 26. Walter Russell Mead évoque des parallèles entre
la période actuelle et celle de 1865-1900 durant la reconstruction, et demeure
optimiste, notant que la démocratie américaine avait alors dû s’adapter
à des changements importants : « The Big Shift. How American
Democracy Fails its Way to Success », Foreign Affairs, vol. 97, no 3, mai-juin 2018, p. 10-19.
(4) Cité
par Sean Wilentz, « How Our Politics Broke », The New
York Review of Books, vol. 66, no 8,
9 mai 2019, p. 24.
(5) L’expression
est de Jonathan Rauch, « What’s Ailing American Politics », The
Atlantic, vol. 320, juillet-août 2016,
p. 58. L’une des raisons pour lesquelles l’affrontement idéologique
est plus intense est l’influence des primaires qui promeuvent l’accès plus
facile aux candidatures radicales. Lire l’article de Jonathan Rauch et Ray La
Raja, « Too Much Democracy is Bad for Democracy », The
Atlantic, vol. 324, décembre 2019, p. 62-68.
(6) Michael
Tomasky, « Fighting to Vote », The New York Review of Books,
vol. 65, no 17, 8 novembre 2018,
p. 8-11. À noter que les banlieues et les péri-banlieues des villes
américaines constituent désormais pour la première fois le groupe démographique
majoritaire dans l’élection de 2020.
(7) « American
Democracy’s Built-in Bias », « The Minority Majority », The
Economist, 14 juillet 2018, p. 13 et 21-24 ; Corey
Robin, « The Tyranny of the Minority, from Iowa Caucus to Electoral
College », The New York Review of Books, 21 février 2020 (consulté en
ligne). Le vote des citoyens des dix États les moins peuplés vaut ainsi au
Collège électoral deux fois et demi le poids du vote des citoyens des dix États
les plus peuplés.
(8) Amy
Chua et Jed Rubenfeld, « The Threat of Tribalism », The
Atlantic, vol. 322, octobre 2018, p. 77-81. Les
auteurs rappellent un sondage de 2017 qui dévoilait que plus de 50 % des
supporters de Trump étaient d’accord avec l’idée que le président puisse
renverser des décisions judiciaires et aussi avec l’idée de reporter les
élections de 2020 s’il le souhaitait. Sur l’effet Trump et le réalignement
du parti républicain, voir Alan Abramowitz, The Great Alignment : Race, Party
Transformation, and the Rise of Donald Trump, New Haven, Yale
University Press, 2018. Andrew Hacker, « Hopeful Math », The New
York Review of Books, vol. LXV, no 14,
27 septembre 2018, p. 71-73.
(9) Sean
Wilentz, « The Culmination of Republican Decay », The New
York Review of Books, vol. 66, no 15,
10 octobre 2019, p. 9 (Wilentz cite le livre de Thomas Mann et Norm
Ornstein de 2012) ; Ruth Ben-Ghiat, « How Trump Bent and Broke the
GOP », The New York Review of Books, NYR Daily, 12 août 2020. Pour
Jacob Hacker et Paul Pierson, le Parti républicain équivaut désormais à un
parti « antisystème », dans « The Republican Devolution :
Partisanship and the Decline of American Governance », Foreign
Affairs, vol. 98, no 4,
juillet-août 2019, p. 42-50.
(10) Yoni
Appelbaum, « How America Ends », The Atlantic, vol. 324,
décembre 2019, p. 47.
(11) Ta-Nehisi
Coates, « The First White President », The Atlantic, vol. 321,
octobre 2017, p. 76.
(12)
Nous n’abordons pas cette dimension dans cet article, mais il faut noter au
passage que l’appauvrissement des Blancs est notable depuis la crise financière
de 2009. Si, en 2017, les 10 % les plus riches de la société ont récolté
77 % de la richesse nationale et ont vu leurs profits substantiellement
augmenter, les 90 % restants ont vu leurs revenus diminuer. Le richissime
président exploite habilement le profond ressentiment, notamment de la classe
moyenne blanche (rappelons aussi que deux tiers des Américains ne possèdent pas
de diplôme universitaire). David Cole, « Taxing the Poor », The New
York Review of Books, vol. LXV, no 8,
10 mai 2018, p. 25-26. La crise pandémique a même une incidence
sur la polarisation dans la mesure où trois quarts des décès causés par le
virus sont concentrés dans des comtés urbains qui ont voté à 60 % en
faveur des démocrates. Le virus oppose ainsi les États démocrates aux États
républicains ! Lire Jonathan Rodden, « How America’s Urban-Rural
Divide Has Shaped the Pandemic », Foreign Affairs,
20 avril 2020.
(11) Jonathan
Metzl, Dying
in Whiteness : How the Politics of Racial Resentment Is Killing America’s
Heartland, New York, Basic Books, 2019 ; Nell Irvin Painter,
« What Is White America ? The Identity Politics of the Majority », Foreign
Affairs, vol. 98, no 6,
novembre-décembre 2019, p. 177-183.
(12) John
Campbell, American Discontent : The Rise of Donald Trump and Decline of
the Golden Age, Oxford, Oxford University Press, 2018, p. 19.
(13) Bernard
E. Harcourt, « How Trump Fuels the Fascist Right », The New York
Review of Books, NYR Daily, 29 novembre 2018.
(14) Carol
Anderson, « Republicans Want a White Republic. They’ll Destroy
America to Get it », Time, 17 juillet 2019. L’exploitation
du sentiment antimigratoire est brillamment analysée par David Frum, « How
Much Immigration is Too Much ? », The Atlantic, vol. 323,
avril 2019, p. 64-74.
(15) David
Frum, Trumpocracy :
The Corruption of the American Republic, New York, Harper, 2018,
p. XI. Lire aussi, de David Frum : « How to Build an
Autocracy », The Atlantic, vol. 321,
mars 2017, p. 49-59, et « Trump Builds his Autocracy », The
Atlantic, vol. 322, octobre 2018, p. 19-22. Le
journaliste français Fabrizio Calvi n’hésite pas à qualifier le président
de mafieux dans Un parrain à la Maison Blanche, Paris, Albin
Michel, 2020.
(16) Steven
Levitsky et Daniel Ziblatt, La mort des démocraties, Paris,
éditions Calmann-Lévy, 2019 ; Timothy Snyder, De la tyrannie : Vingt leçons du
XXᵉ siècle, Paris, Gallimard, 2017.
(17) Stephen
Walt, « 10 Ways Trump Is Becoming a Dictator », Foreign
Policy, 8 septembre 2020, et « The World’s Weakest
Strongman », Foreign Policy,
6 juin 2020. Jack Goldsmith estime pour sa part que Donald Trump ne
peut avoir les compétences requises pour être un dictateur puisqu’il est l’un
des pires présidents de l’histoire. Il le compare au « monstre de
Frankenstein », dans la mesure où Trump cumule les pires attributs de
plusieurs de ses prédécesseurs : « la rage d’Andrew Jackson, la
bigoterie de Millard Fillmore, l’incompétence de James Buchanan,
l’autoglorification de Theodore Roosevelt, la paranoïa, l’insécurité et
l’indifférence devant la loi de Richard Nixon, enfin le manque de maîtrise de
soi et la malhonnêteté impulsive de Bill Clinton », dans « Will
Donald Trump Destroy the Presidency ? », The Atlantic, vol. 321,
octobre 2017, p. 60.
(18) Lire
la critique cinglante d’Anne Applebaum, « The Collaborators », The
Atlantic, vol. 324, juillet-août 2020, p. 48-62.
David Runciman, How Democracy Ends, New York, Basic Books, 2019.
(19) Walter
Shaub, « Ransacking the Republic », The New York Review of Books,
vol. 67, no 11, 2 juillet 2020,
p. 55-58.
(20) George
Packer, « How to Destroy a Government. The President is Winning His
War on American Institutions », The Atlantic, vol. 324,
avril 2020, p. 57, 74. Packer rappelle que les hauts fonctionnaires
du FBI qui ont enquêté sur les liens entre Trump et la Russie ont tous été
renvoyés ou mutés.
(21) Cass
Sunstein, Can It Happen Here ? Authoritarianism in America,
New York, Dey Street Books, 2018 ; Masha Gessen, Surviving
Autocracy, New York, Riverhead, 2020.
(22) Elizabeth
Goiten, « The Alarming Scope of the President’s Emergency Powers », The
Atlantic, janvier-février 2019, p. 38-47. Ces pouvoirs
vont de la prise de contrôle sur les réseaux internet au déploiement de troupes
des forces armées pour mater une insurrection, en passant par l’imposition de
sanctions financières contre des citoyens américains pour cause d’insubordination
ou de sédition. Selon Elizabeth Goiten, ces pouvoirs incluent la suspension de
la Constitution en cas de crise majeure. Fintan O’Toole estime qu’après son
acquittement par le Sénat en février dernier, Donald Trump a eu les
coudées franches pour défier encore plus les normes et gouverner comme il le
souhaite, donnant une suite réelle à la phrase de Nixon « quand c’est
le président qui le fait, ça veut dire que ce n’est pas
illégal », dans « Whatever He Wants », The New
York Review of Books, 27 février 2020, p. 35.
(23) James
Poniewozik, Audience of One : Donald Trump, Television, and the
Fracturing of America, New York, Penguin Random House, 2019. Le
caractère de Trump est sans nul doute le produit de son expérience télé.
(24) Mark
Danner, « What He Could Do », The New York Review of Books,
vol. 64, no 5, 23 mars 2017,
p. 4-6. Mark Danner pense que Trump adopte sciemment une stratégie de
polarisation pour conserver l’appui de sa base.
(27) Jonathan
Freedland, « Disinformed to Death », The New York Review of Books,
20 août 2020, p. 38-40 ; McKay Coppins, « The
Billion-Dollar Disinformation Campaign to Reelect the President », The
Atlantic, vol. 324, mars 2020, p. 28-39 ;
Franklin Foer, « The 2016 Election Was Just a Dry Run », The
Atlantic, vol. 324, juin 2020, p. 40-50 ;
Thomas Rid, Active Measures. The Secret History of Disinformation and
Political Warfare, New York, Farrar, Straus and Giroux, 2020.
(28)
Joseph O’Neill, « Save the Party, Save the World », The New
York Review of Books, 20 août 2020, p. 32-34, et
« Brand New Dems ? », The New York Review of Books,
28 mai 2020, p. 44-46. O’Neill estime que les républicains sont
bien meilleurs que les démocrates pour « vendre » leurs idées
politiques et il craint le factionnalisme au sein du parti, même en cas de
victoire de Biden le 3 novembre. Michael Tomasky souligne que 46 %
des démocrates s’identifient comme « libéraux », 37 % comme
« centristes » et 15 % comme des « conservateurs »
(ces derniers sont enclins à faire défection et à voter républicain),
dans « The Rules of the Game », The New York Review of Books,
18 juillet 2019, p. 18.
(29) David
Frum, « America After Trump », The Atlantic, décembre 2019,
p. 13-16.
Légende de la photo en première page : En septembre 2020,
au cours d’une conférence de presse, le président Donald Trump a refusé de
s’engager à garantir un passage du pouvoir sans violence en cas de défaite
à l’élection présidentielle américaine du 3 novembre — déclaration
qui a entraîné un flot de réactions indignées. Le chef de la majorité
républicaine au Sénat, Mitch McConnell, allié du président, a aussitôt
assuré sur Twitter que le résultat des élections serait respecté avec
« une transition en bon ordre, comme tous les quatre ans depuis
1792 ». (© White House/Shealah Craighead)
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