Tuesday, June 25, 2024

Lutte contre les ingérences étrangères - Audition de M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, devant la commission d'enquête Influences étrangères du Sénat - Propos de M. Stéphane Séjourné (Paris, 18/06/2024)

 Lutte contre les ingérences étrangères - Audition de M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, devant la commission d'enquête Influences étrangères du Sénat - Propos de M. Stéphane Séjourné (Paris, 18/06/2024)


Je suis très heureux d'être parmi vous pour évoquer ce sujet qui m'est cher, tant au regard des missions de mon ministère qu'à titre personnel. En effet, la campagne électorale de 2017 avait fait l'objet de plusieurs opérations d'ingérence, à la suite desquelles des actions ont été engagées pour en limiter les conséquences sur la vie politique ainsi que sur l'image de la France.

La représentation nationale et les citoyens doivent être sensibilisés à ce sujet. Nous vivons dans un environnement informationnel terriblement hostile. Sous l'effet, notamment, de la transformation profonde de nos modes de communication et des réseaux sociaux, la vérité semble désormais entourée d'une forme de confusion. Le débat est fortement polarisé entre des bulles informationnelles de plus en plus étanches, séparant des communautés qui ne se parlent plus. Enfin, la parole officielle et institutionnelle fait l'objet d'un nombre croissant de soupçons.

Des facteurs exogènes s'ajoutent à ce tableau, en France comme dans la plupart des démocraties. Il faudra d'ailleurs élaborer une réponse collective, en menant des stratégies de plus en plus offensives. Des compétiteurs, mais également des adversaires, exploitent ce bouleversement de la sphère médiatique et des réseaux sociaux, tout comme les doutes de nos concitoyens envers la parole publique. En attaquant le lien entre la vérité et les faits, ils menacent nos démocraties au travers d'une nouvelle guerre hybride.

D'un point de vue conceptuel, il importe de distinguer les notions d'influence et d'ingérence afin de mieux caractériser les manoeuvres qui frappent la France. Selon le Président de la République, être influent, c'est être bien vu, au maximum aimé, si possible compris, suivi. Ainsi tous les Etats, dont la France, cherchent à exercer une forme d'influence, de séduction, de soft power, voire de conviction pour éviter la critique. Notre pays mène donc des actions d'influence étrangère, mais celles-ci s'inscrivent dans un cadre démocratique et respectent l'obligation de transparence.

C'est l'esprit de la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France présentée par le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, Sacha Houlié, qui a été adoptée par les deux chambres. Ce texte suit la logique de la différenciation entre influence et ingérence, ce dont je me félicite. Il visait d'une part à renforcer l'encadrement par la loi des pratiques d'influence étrangère en France, d'autre part à réprimer les ingérences.

En effet, les ingérences étrangères, malveillantes, sont source de déstabilisation de nos démocraties. Alors que nos actions d'influence s'opèrent dans un cadre de transparence, elles sont dissimulées, souvent clandestines et souterraines. Parce qu'elle vise, notamment, à fragiliser nos intérêts fondamentaux, le fonctionnement de nos institutions démocratiques et la cohésion de notre société, l'ingérence ne peut être acceptée ; en conséquence, elle est punie par la loi.

Il est important de rappeler à nos concitoyens que la représentation nationale se penche sur ces questions et que nous avons des outils pour les protéger. En effet, l'objet de tous les dispositifs que nous avons mis en place est de protéger tant l'image de la France que les intérêts des Français, afin de garantir leur accès à une information libre, fondée sur des faits et non sur des hypothèses ou des manipulations.

Cependant, la cloison séparant ces deux notions n'est pas si étanche que cela. L'influence peut être aussi un moyen de préparer le terrain à des opérations d'ingérence. Or la France est visée par de nombreuses manoeuvres informationnelles agressives, qui tendent de plus en plus vers l'ingérence étrangère. Elle y est d'ailleurs davantage exposée que les autres pays, en raison d'abord de notre action diplomatique et militaire de premier plan. Ensuite, si notre espace médiatique est régulé, il est bien plus ouvert et libre que dans la plupart des autres pays. Enfin, nous avons des liens profonds et historiques avec de nombreuses régions du monde, qui façonnent nos relations diplomatiques et notre image - je pense notamment à l'Afrique.

Si les acteurs et les méthodes varient, les objectifs de ces manoeuvres sont souvent les mêmes : discréditer notre action à l'international, attiser les tensions internes dans notre pays et déstabiliser nos institutions démocratiques.

La principale menace en matière d'ingérence informationnelle est aujourd'hui d'origine russe. Ces actions ne sont pas nouvelles, mais elles se sont multipliées depuis février 2022 en raison du soutien de la France à l'Ukraine. Les méthodes du régime russe sont multiples : elles reposent à la fois sur la création de milliers de sites et de bots pour engager des campagnes de désinformation - comme celle menée par le réseau "Portal Kombat", identifié par Viginum en février dernier - et sur des actions physiques sur notre sol, relayées massivement sur les réseaux sociaux, comme les tags d'étoiles de David sur les murs de Paris en novembre 2023. Et parce qu'Internet n'a pas de frontières, Moscou diffuse également de nombreux mensonges sur la France à l'étranger, notamment au Sahel, pour favoriser son implantation agressive en accusant notre pays de tous les maux.

De plus en plus d'acteurs s'inspirent aussi de cette stratégie russe, comme le montre la crise inédite avec l'Azerbaïdjan. Bakou soutient et relaie publiquement des manoeuvres informationnelles d'une grande hostilité. Ces discours s'accompagnent également d'actions qui se rapprochent d'opérations d'ingérence, voire qui peuvent être clairement qualifiées comme telles, et portent atteinte à nos intérêts. Encouragé par la Russie, le régime de Bakou est très actif auprès des responsables indépendantistes de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie. Ce phénomène, assez récent, a été dénoncé notamment par de nombreux sénateurs, y compris lors de séances de questions au Gouvernement. Or ces manoeuvres, au-delà de la question réputationnelle dans l'espace virtuel et sur les réseaux, peuvent aussi avoir des conséquences directes sur la sécurité physique des personnes et des agents des sphères ministérielles. Cela a notamment été le cas au Sahel, quand des mensonges et des fake news ont été lancés sur les réseaux sociaux et que nos postes diplomatiques ont été attaqués.

Face à ces manoeuvres, le ministère des affaires étrangères est déterminé à agir. Nous avons bien pris en compte ces nouvelles attaques. Notre dispositif face aux manipulations de l'information est maintenant opérationnel. Il permet de maîtriser les différents tempos et les éléments clés des opérations d'ingérence. Au-delà de l'analyse et de la détection, le ministère des affaires étrangères, en lien avec l'ensemble des services de l'Etat, est capable de rétablir les faits dans un temps très court.

Notre capacité de réaction est en effet fondamentale. Nous nous sommes interrogés pour élaborer notre stratégie : la dénonciation rapide d'une fake news peut-elle renforcer l'effet Streisand ? Notre expérience montre que dès lors qu'une puissance a décidé de rendre une fausse information virale, nous ne pouvons l'en empêcher. Nous privilégions donc la réactivité et la dénonciation publique des opérations d'ingérence, que ce soit sur les réseaux sociaux ou physiquement, lors d'actions sur le territoire national.

Pour garantir la rapidité de notre réponse, la France a renforcé en amont ses moyens de veille et d'analyse de la manipulation de l'information depuis 2020.

Je pense d'abord à la création de Viginum en 2021. Il s'agit d'un service d'enquête en sources ouvertes, rattaché au secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et destiné à caractériser les ingérences numériques étrangères pouvant porter atteinte à nos intérêts fondamentaux.

De plus, les mécanismes d'alerte et de riposte à l'étranger ont été renforcés via la création d'une nouvelle sous-direction dédiée à la veille stratégique au Quai d'Orsay au sein de la direction de la communication et de la presse. Sa mission consiste à protéger les réseaux diplomatiques et à agir contre les atteintes réputationnelles à l'encontre de la France à l'étranger.

Enfin, la revue nationale stratégique 2022 a consacré l'influence comme sixième fonction stratégique afin d'intégrer au mieux les enjeux informationnels dans la doctrine française. En dix-huit mois, nous avons instauré à Paris et dans les ambassades une logique de riposte, pour rétablir les faits de manière rapide et agile par tous les moyens. Il s'agit aussi de lutter contre la dénonciation publique en recourant à cette même méthode. Ainsi mes services, en lien avec Viginum, ont préparé les premières dénonciations publiques de manipulation de l'information contre la France. Nous avons aussi renforcé la coordination interministérielle en instaurant une réunion hebdomadaire à très haut niveau, notamment avec l'état-major des armées, pour faire un point régulier sur ces risques.

Dans une perspective de long terme, la France a également à coeur de devenir un acteur reconnu du débat international sur l'ingérence et la lutte contre les manipulations de l'information. Nous accusions un retard certain par rapport à certains Etats. Je pense notamment aux pays frontaliers de la Russie, qui, en réaction aux nombreuses attaques qu'ils subissaient, avaient développé une expertise sur le sujet dont nous avons pu nous inspirer.

Nous prendrons aussi de nouvelles initiatives relatives à l'utilisation de l'intelligence artificielle, à l'occasion du sommet de Paris sur l'intelligence artificielle de février 2025.

Ces acquis doivent désormais être consolidés. Cela passera par le développement des compétences de mon ministère en matière d'enquête en sources ouvertes, au travers de la nouvelle sous-direction que j'ai évoquée, mais aussi grâce à l'expérience croissante des professionnels sur le sujet et au recrutement de personnalités extérieures. Nous devrons également renforcer le niveau des formations liées à ces nouveaux métiers, et généraliser l'usage de l'intelligence artificielle pour contrer les opérations de désinformation.

Nous continuons à soutenir l'écosystème médiatique et sa résilience dans le cadre de la feuille de route "Médias et développement" pour 2023-2027, qui poursuit un triple objectif.

D'abord, elle vise à améliorer l'environnement médiatique, en défendant l'indépendance et la protection des journalistes. C'est en effet la clé d'une information libre et la garantie du lien de confiance entre nos concitoyens et la presse.

Ensuite, il s'agit de renforcer la régulation des plateformes et des réseaux sociaux pour accroître leur transparence et leur redevabilité. C'est d'ailleurs ce que permet le Digital Services Act (DSA), qui a été voté sous la présidence française de l'Union européenne.

Enfin, nous devons soutenir la production d'informations fiables. Pour cela, nous agissons sur la formation des journalistes via les programmes de "désintox" et "désinfox" en Afrique portés par Canal France International (CFI). Cela passe également par les projets de France Médias Monde, qui mène des actions remarquables en la matière. Nous renforçons également l'éducation aux médias, en nous appuyant sur des collaborations menées avec plusieurs pays. Je pense notamment au Brésil, qui, ayant fait face à des phénomènes de désinformation, a mis en place des dispositifs fondés sur la société civile dont nous pouvons nous inspirer. En effet, les instruments ne seront rien si nous n'agissons pas dans ce domaine. À ce titre, Reporters sans frontières (RSF) a oeuvré pour la création d'un observatoire international sur l'information et la démocratie. Ce bel instrument doit être soutenu par les pouvoirs publics et la représentation nationale. Je pense aussi au partenariat sur l'information et la démocratie lancé en 2019 par RSF et rejoint par 52 pays. En effet, il nous faut maintenant des coalitions étatiques pour faire face à cet enjeu mondial. À ce titre, j'ai une pensée pour Christophe Deloire, dont l'engagement, j'en suis sûr, n'aura pas été vain.

Vous l'avez compris, l'espace informationnel est désormais un champ à part de la conflictualité. Les facteurs sont multiples. Nous constatons depuis quelques années les opérations d'influence et d'ingérence à notre encontre. Nous avons commencé à y répondre, avec, il me semble, une forme d'efficacité. Mais nous devons désormais organiser une réponse intellectuelle, technique et politique, auprès à la fois de la population civile, des acteurs et de tous les réseaux.

Pour finir, je vous remercie de soulever un sujet aussi essentiel, auquel nous devons nous confronter si nous voulons garantir la cohésion nationale et préserver nos démocraties dans les années à venir.

Je me tiens à votre disposition pour répondre à toutes vos questions. Certains dispositifs ne pourront être détaillés dans le cadre de cette audition publique, mais je pourrai vous transmettre certains éléments par écrit ou vous les préciser à huis clos.

(...)

R - Notre réponse face à la désinformation s'inscrit dans le renouveau des partenariats entre les pays africains et la France. Une partie de cette réponse est politique. Certes, nous pouvons instaurer des dispositifs pour riposter aux opérations d'ingérence. Néanmoins, en Afrique, il importe surtout de rétablir un lien de confiance et de retrouver un agenda diplomatique et politique fondé sur le partenariat, dans un rapport d'égal à égal.

Cette première réponse est extérieure à notre stratégie de lutte contre l'ingérence, mais elle ne peut, en réalité, en être dissociée. Si certaines puissances ont essayé de déstabiliser la relation unissant la France et nos amis africains, c'est parce que l'instrumentalisation était possible. Nous devons donc retisser ce lien de confiance, en particulier avec les pays du Sahel. C'est un véritable chantier diplomatique, dont nous pourrons reparler à d'autres occasions, mais qui me semble très important.

Par ailleurs, dès lors que nos adversaires décident de rendre virales certaines informations, notre seule manière d'y répondre est de les décrypter et de toucher l'ensemble des sphères informationnelles, qui sont aujourd'hui cloisonnées. C'est la raison pour laquelle il est fondamental de disposer d'un réseau médiatique à l'international, s'appuyant sur des journalistes formés. Sans cela, nous ne pourrons atteindre le public qui n'a pas accès à ces contre-narratifs. C'est notre principal défi.

Nous avons procédé de la sorte dans de nombreux cas, au Sahel notamment. Nous avons ainsi riposté pour rétablir la vérité dans l'affaire d'un faux charnier - en lien avec le ministère des armées -, ou encore lorsque de fausses informations relatives à l'hébergement d'un ancien président dans une ambassade ont été diffusées.

Récemment, nous avons détecté sur les réseaux sociaux des vidéos en provenance de Russie relayant de fausses informations grossières. Elles n'étaient pas encore devenues virales. Nous avons voulu communiquer immédiatement, de manière large, auprès des acteurs locaux, afin de montrer qu'elles étaient fausses. Nous devons être capables de détecter les fake news sur les réseaux sociaux dès qu'elles apparaissent et de riposter aussitôt.

De même, depuis que j'ai été nommé ministre, nous collaborons étroitement, en format Weimar, avec l'Allemagne et la Pologne, pays qui sont aussi particulièrement visés par ces attaques informationnelles. Nos directions de la communication et de la presse travaillent ensemble. Notre riposte est ainsi coordonnée. Nous publions tous les rapports démontrant l'ingérence d'autres puissances : c'est la meilleure manière d'éduquer l'opinion et d'élaborer un contre-narratif.

À l'étranger, nous avons besoin de pénétrer des sphères informationnelles que nous ne maîtrisons pas. C'est pourquoi il est important de disposer de notre réseau. France Médias Monde constitue un formidable réseau de journalistes : celui-ci doit perdurer et être doté des moyens nécessaires. La collaboration avec les journalistes est un élément de la réponse face aux attaques informationnelles.

M. Rachid Temal, rapporteur. - Vous n'avez pas répondu sur l'Azerbaïdjan et sur l'Arménie.

R - Je vous répondrai tout à l'heure, lorsque nous serons à huis clos.

(...)

R - La définition de nos actions en interministériel est une nouveauté. Cette méthode nous permet de mieux comprendre les menaces et de construire une réponse adaptée ensemble. Evidemment, des améliorations sont certainement possibles. Le sujet est nouveau. Des avancées significatives ont eu lieu depuis deux ans. Nous sommes convaincus que la réponse doit être interministérielle et européenne. L'agression russe en Ukraine concerne tous les pays européens. Les questions d'ingérence et de déstabilisation se posent partout.

Nous avons donc besoin de nous organiser au niveau européen. De nombreux partis politiques européens peuvent s'accorder sur la nécessité de mutualiser nos moyens afin d'être en mesure d'analyser les situations, de riposter, de divulguer en temps réel tout de ce qui se passe dans la sphère informationnelle dans tous les pays. Il est bon que les Français sachent, par exemple, qu'une attaque massive d'ingérence a eu lieu hier en Pologne et en Allemagne : cela illustre l'ampleur de la menace pour toutes les démocraties européennes. À l'heure où la parole publique est mise en cause, cette communication montre la réalité du danger, participe de l'éducation de l'opinion. Nous pouvons ainsi expliquer aux Français pourquoi on doit réagir. C'est ainsi que l'on peut se prémunir contre des opérations d'ingérences et de déstabilisation qui visent à affecter notre vivre-ensemble et notre cohésion nationale.

Le ministère des affaires étrangères me semble bien placé pour piloter la réponse de notre pays. Il dispose d'un réseau à l'international. Il assure déjà la coordination interministérielle lorsque la France doit prendre position sur des sujets internationaux, sur des traités économiques, sur de grands enjeux de société, etc. Il a développé une expertise en matière d'ingérence. Nos ambassadeurs sont de plus en plus formés sur ce sujet. Répartir l'expertise dans tous les ministères est une fausse bonne idée.

(...)

Cela aboutirait à diluer la réponse : celle-ci varierait en fonction des ministères et des sujets. Le ministère des affaires étrangères doit conserver cette compétence. Nous avons beaucoup progressé depuis deux ans. Nous sommes désormais en mesure d'apporter des réponses. Certes, il faut toujours rester vigilant, suivre l'actualité, tenir compte des nouvelles technologies, mais il serait problématique de perdre l'expertise acquise ces dernières années.

(...)

R - Nous avons réussi à faire revenir sur le territoire national, voilà quelques jours, certaines des personnes concernées. C'est un élément de satisfaction. J'avais eu des contacts avec l'ancien ministre des affaires étrangères de l'Iran. Ma démarche avait suscité des débats, mais mon unique but était de faire progresser ce dossier. Cela ne nous a pas empêchés de faire preuve de fermeté à l'égard de l'Iran : nous avons, par exemple, été en pointe pour faire adopter une résolution sur le nucléaire par le conseil des gouverneurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Il n'y a donc pas de contradiction entre notre fermeté globale et notre capacité à obtenir des résultats pour faire libérer nos compatriotes.

Je ne dirais pas que cette pratique iranienne relève de l'ingérence. Elle a été maintes fois utilisée par ce pays et par d'autres. Je vous apporterai des éléments de réponse plus fournis sur nos relations diplomatiques lorsque nous serons à huis clos.

(...)

R - C'est effectivement une stratégie de pression diplomatique envers la France, mais cela ne nous a pas empêchés de faire preuve de fermeté.

(...)

R - Le ministère des affaires étrangères a pour rôle non seulement de répondre aux ingérences étrangères, mais aussi de les prévenir. La France ne fait pas d'ingérence ; elle fait de l'influence, de manière transparente et dans un cadre démocratique, pour aider nos entreprises à gagner des parts de marché, pour défendre ses valeurs universalistes et ses intérêts aux niveaux bilatéral et multilatéral, dans les organisations internationales, comme le G7 ou l'Union européenne. Le discours de la Sorbonne constitue un élément de notre politique d'influence en Europe. France Médias Monde représente un outil d'influence précieux.

(...)

R - Il diffuse une quinzaine d'émissions consacrées à la "désinfox", la lutte contre la désinformation, en français et dans des langues étrangères, afin de toucher le public le plus large possible dans différents pays pour rétablir la vérité face à la diffusion de fausses informations. Ces dernières font souvent partie de stratégies d'influence.

Le groupe réalise un effort en matière d'éducation aux médias : 3.000 élèves en France et à l'étranger ont ainsi pu échanger avec des journalistes de France 24 ou de RFI. Le groupe produit aussi des contenus audiovisuels dans une vingtaine de langues. Il permet de répondre à l'action des médias russes en Afrique, qui font d'ailleurs exactement la même chose, mais avec une volonté d'ingérence et en diffusant de fausses informations.

La bataille est permanente. Nous devons être agiles, nous adapter sans cesse aux nouvelles technologies. Pour être efficaces, nous devons aussi centraliser la décision, afin de ne pas diluer les responsabilités et de parler d'une même voix, avec une même stratégie.

L'éducation, l'information, la mobilisation de notre réseau à l'étranger, la diffusion d'émissions dans plusieurs langues, la capacité à répondre rapidement lorsqu'une fausse information est diffusée : tels sont, selon moi, les maîtres mots.

(...)

Qui sait !

(...)

R - Ce dernier point relève de la compétence du ministère des armées.

(...)

R - En ce qui concerne le volet économique, nous travaillons étroitement avec Bercy. Nous sommes en pointe en Europe en matière de coordination et d'efficacité dans le domaine de l'influence. Le ministère des affaires étrangères met en oeuvre une stratégie en matière de diplomatie économique. Nous cherchons à monter en compétence, en nommant par exemple des agents du ministère de l'économie à certains postes à l'étranger. Les enjeux varient selon les pays. Il importe donc être agile, de nommer les bonnes personnes, possédant les bonnes compétences, aux bons endroits.

Il faut aussi "jouer groupé" au niveau européen. Si les Vingt-Sept n'arrivent pas à élaborer une stratégie économique commune, ils seront déclassés par les Chinois et les Américains. Le Président de la République a toujours eu pour ambition que l'Europe puisse parler d'une seule voix - je vous accorde que nous n'y sommes pas encore. Nous devons continuer à emmener dans nos déplacements à l'étranger des représentants politiques ou économiques d'autres pays européens - et réciproquement. C'est ainsi que nous apprendrons à intégrer systématiquement la dimension européenne dans nos politiques.

Nous avons demandé à un ambassadeur de rédiger un rapport sur les Frères musulmans et leur influence. J'attends ses conclusions pour en tirer les leçons opérationnelles. La direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et le ministère de l'intérieur ont déjà travaillé sur ce sujet. La stratégie d'influence de cette mouvance n'est pas dure, violente, comme celle de la Russie : elle est larvée, souterraine et idéologique. Elle n'en est pas moins dangereuse pour autant, par ses effets de déstabilisation, pour la cohésion de notre société. La réponse doit donc être différente. Il ne suffit pas de dénoncer publiquement des ingérences sur le sol français ou des fake news sur les réseaux sociaux : il convient d'élaborer une stratégie globale, de surveiller certains acteurs, d'apporter une réponse idéologique et de mener un combat politique et culturel autour d'un certain nombre de valeurs. Cela dépasse le cadre du ministère des affaires étrangères, mais il est essentiel que nous ayons une réflexion collective sur ce sujet.

(...)

R - Je commencerai par les investissements étrangers en France. Il ne faut pas confondre perte de souveraineté et investissements en France. Concernant les pays que vous avez évoqués, nous étudions, attentivement et de manière transparente, en en discutant avec eux, chacun de leurs investissements, que ce soit dans l'immobilier ou dans des secteurs plus stratégiques, que nous apprécions au regard de notre objectif de préserver notre souveraineté nationale. Cette grille de lecture est intégrée à notre stratégie. Avec la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, notre vigilance est désormais absolue, tout comme l'est notre volonté de lutter contre le séparatisme et le communautarisme en France.

A contrario, ces pays comptent sur nous pour investir dans les domaines culturels, y compris sur leur territoire. Je ne parle pas d'investissements financiers, mais plutôt d'investissements à vocation historique. À cet égard, AlUla est un très bon exemple. En partageant nos compétences dans ces domaines, nous valorisons l'image de la France. Et cette politique d'influence française est assumée, même si elle n'est pas sans contrepartie.

Concernant nos stratégies en Afrique, nous n'agirons pas comme la Chine. De fait, vous ne verrez pas une photo ou une statue du Président de la République française accrochée à l'intérieur de l'assemblée de tel ou tel pays. Nous sommes en train de mettre en oeuvre, avec l'Agence française de développement, une stratégie pour un pilotage politique très fin de ses objectifs. L'AFD est un instrument fondamental pour le développement des pays concernés, mais c'est aussi un instrument de l'influence française, au bon sens du terme, qui doit nous permettre de regagner la confiance de ces peuples, qui ont été parfois instrumentalisés par des opérations d'ingérence.

Cette stratégie doit être partagée avec la représentation nationale. J'ai moi-même été déjà auditionné sur ce sujet à l'Assemblée nationale.

Les projets que nous menons dans ces pays doivent être identifiés. Il est tout de même problématique, je suis bien d'accord avec vous, qu'on ne sache pas toujours que tel ou tel projet important est financé par la France. Peut-être convient-il de redéfinir les priorités. Ainsi, nos ambassades disposent de fonds grâce auxquels elles peuvent, en toute flexibilité, pour de petits montants, financer une association, un projet de quartier, etc., actions qui sont parfois presque plus efficaces que les grands projets que nous soutenons avec des moyens financiers importants.

Je rappelle que notre aide au développement a été doublée en sept ans. Il convient donc que nous nous réinterrogions sur notre stratégie collective en la matière.

Par ailleurs, nous avons décidé de doter nos ambassades de services de presse, qui n'en disposaient pas toujours - c'est pourquoi les effectifs de mon ministère ont crû de 123 équivalents temps plein (ETP). Ces services doivent être notre "bras armé" local à la fois en exerçant un rôle de veille, en faisant remonter un certain nombre d'informations, mais surtout pour communiquer. Voyez avec quelle puissance des ambassades russes, quand elles le décident, communiquent, soit dans la presse nationale, soit au moyen d'un porte-parole, comme c'est le cas en France.

Le sentiment anti-français peut être réel, notre pays peut faire l'objet de critiques, sans que celles-ci aient les conséquences qu'on a pu observer au Sahel. C'est le propre du débat démocratique. En France, le débat politique peut être animé sur des pays comme les Etats-Unis ou la Chine, différentes thèses peuvent s'opposer à leur sujet sans que cela n'emporte de conséquences dramatiques ou irréversibles dans notre relation avec ces pays. Il faut donc faire la part des choses.

En Côte d'Ivoire, la France a fait l'objet de critiques. Je suis en contact avec les autorités pour établir un partenariat très différent. Nous voulons privilégier les diasporas qui, bien que jouissant de la nationalité française, veulent revenir en Côte d'Ivoire pour y produire et construire un projet entrepreneurial.

C'est à nous, donc, de répondre aux critiques.

Au Sénégal, de la même manière, les choses n'ont pas pris les mêmes proportions qu'au Burkina Faso ou au Niger.

Il faut donc établir des distinctions selon les pays et mesurer les conséquences dans le débat public de ces critiques à l'encontre de la France. Autant nous devons assumer la dimension politique, autant nous devons combattre tout ce qui relève de l'ingérence. À défaut, si on fait l'amalgame entre l'une et l'autre, on verse dans la stratégie chinoise ou dans la stratégie russe. C'est ce qui explique les déconvenues que nous avons connues dans notre relation avec ces pays avec lesquels nous avons une histoire en commun.

Il faut également faire très attention à la manière dont notre stratégie d'influence est perçue à travers les critiques qui nous sont adressées ou la demande de partenariats plus équilibrés, surtout quand des puissances étrangères se trouvent derrière pour contrer nos intérêts fondamentaux dans tous ces pays.

Mme Evelyne Perrot. - Monsieur le Ministre, je me suis rendue à l'ambassade de France au Yémen, installée à Riyad. Elle exerce ses activités dans des conditions difficiles, faute de moyens, en dépit du travail considérable qu'elle effectue. La situation au Yémen étant ce qu'elle est, il importe de regarder les choses d'un peu plus près.

R - J'examinerai avec attention la situation que vous décrivez.

(...)./.

(Source : site Internet du Sénat)

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