Wednesday, January 26, 2022

Politique étrangère - Audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, devant la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale (Paris, 11/01/2022)

 


8. Politique étrangère - PFUE - Russie - Ukraine - Iran - Sahel - Mali - Chine - Lituanie - Indopacifique - Santé mondiale - Haïti - Libye - Liban - Syrie - Défense européenne - Biélorussie - Italie - Burkina Faso - Afghanistan - Diplomatie féministe - Non-prolifération - Egypte - Macédoine du Nord - Bulgarie - Yémen - Bénin - Tchad - Tunisie - Birmanie - Audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, devant la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale (Paris, 11/01/2022)

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Parlementaires, mes meilleurs voeux à vous aussi ! Merci de vos voeux, pour moi-même et mes collaborateurs qui sont toujours à votre service, ainsi que vous l'avez noté, afin que la commission soit pleinement informée, ce qu'elle est, je crois, dans les meilleures conditions.

Je n'avais pas souvenir que cela faisait si longtemps que nous ne nous étions vus (...). En effet. Des reports sont intervenus à partir du mois de décembre, dont je n'étais pas maître, mais sachez que j'ai toujours grand plaisir à vous rencontrer.

L'actualité est très chargée. Je centrerai mon propos liminaire sur le calendrier de la présidence française de l'Union européenne. Je déclinerai notamment les différentes étapes de la présidence, à commencer par la réunion qui se tiendra jeudi 13 et vendredi 14 janvier à Brest, dite "Gymnich", en référence au lieu où s'est tenue la première rencontre dans ce format... informel. Les discussions, assez libres, ne déboucheront pas sur des prises de décision, lesquelles, si elles doivent avoir lieu, interviendront lors de la séance formelle des ministres des affaires étrangères qui se tiendra le 24 janvier, à Bruxelles.

Ces deux jours, qui seront d'ailleurs précédés d'une réunion informelle des ministres de la défense, seront l'occasion d'aborder nombre de sujets en présence du Haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, et de l'ensemble des ministres des affaires étrangères des Vingt-Sept.

Le dossier de nos relations avec la Russie et le dossier ukrainien seront au coeur de nos discussions. Comme je l'ai fait devant vous au cours de ces derniers mois, nous pouvons dresser trois constats sur les tensions que nous connaissons avec la Russie.

Premier constat : la dérive autoritaire russe se poursuit. Elle se manifeste sur le plan régional par des tensions renouvelées et graves autour de l'Ukraine en raison de l'accumulation des forces russes aux frontières de ce pays. Elle se manifeste aussi sur le plan intérieur à travers la liquidation, par la justice russe, de l'ONG Memorial International, institution centrale et historique de la défense des droits de l'homme en Russie.

Deuxième constat : nous poursuivons néanmoins avec ce grand pays un dialogue sérieux et exigeant pour tenter de définir les paramètres d'une relation de stabilité stratégique en Europe. Nous appelons à un tel dialogue, sans naïveté et avec exigence. Nous l'avons engagé à titre bilatéral depuis un certain temps déjà. J'observe d'ailleurs que le Président Macron, en août 2019, avait souhaité ouvrir des discussions et un dialogue nouveau avec la Russie ; il avait alors été critiqué par certains mais nous observons que ce mouvement a été utile, puisque d'autres pays reprennent cette initiative.

Troisième constat : l'importance, pour les Européens, d'être pleinement acteurs de leur sécurité. Ils le sont déjà dans le cadre des discussions en format Normandie, qui se poursuivent à Moscou et à Kiev, dans celui des discussions à l'OTAN qui auront lieu demain dans le cadre de la réunion Russie-OTAN, et au cours de celles qui se tiendront après-demain à l'OSCE, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Nous sommes dans une phase d'intense activité diplomatique. Les discussions russo-américaines, qui ont commencé dimanche, ont été préparées avec nous - j'y ai moi-même contribué, avec Antony Blinken. Nous connaissons donc les propos que les Américains tiendront aux Russes. Quoi qu'il en soit, dans toutes ces enceintes, nous veillons à mettre sur la table nos propositions.

Ces trois constats sont largement partagés par les Vingt-Sept et il convient maintenant de les décliner concrètement pour répondre aux propositions de garantie de sécurité que la Russie a fait valoir en décembre dernier sous la forme de deux projets de traité, l'un, entre la Russie et les Etats-Unis, l'autre, entre la Russie et l'OTAN. Nous ne devons ni refuser cette discussion ni en être inquiets car elle peut contribuer à renforcer notre sécurité dès lors qu'elle intervient sur la base de paramètres que nous jugeons conformes à nos intérêts collectifs de sécurité et qu'elle est conduite en toute transparence et en union avec nos alliés et partenaires.

Dans ce cadre, nous devons donc pointer ce qui, dans les propositions russes, n'est pas acceptable parce qu'incompatible avec les principes fondamentaux de la sécurité et de la stabilité européennes, tels que prévus avec la Russie, entre autres dans l'acte final d'Helsinki, signé en 1975 par l'URSS, comme d'ailleurs dans la Charte de Paris pour une nouvelle Europe, signée en 1990, qui en réaffirme les dix principes fondamentaux. Le "décalogue" reprend les principes sur lesquels les acteurs européens, y compris la Russie, se sont engagés en Finlande dont le droit de tout Etat souverain à appartenir ou non à des organisations multilatérales de son choix ou l'intangibilité des frontières. Disons-le, des propositions russes reviennent purement et simplement à supprimer des décennies de construction européenne pour revenir à une logique de bloc. D'aucuns ont même parlé de Yalta II.

Nous devons engager une discussion substantielle sur les enjeux de maîtrise des armements et de stabilité stratégique dans le contexte de disparition progressive de tous les instruments existants. Ce débat peut se tenir dans des formats différents entre Etats-Unis et Russie sur les armements nucléaires stratégiques, sur la poursuite et l'approfondissement de New Start, qui a été repoussé à cinq ans mais qui n'en pose pas moins la question de l'avenir, sur les enjeux des armements conventionnels, sur la suite à donner à la maîtrise des forces nucléaires intermédiaires ou encore, à l'OSCE, sur les enjeux de transparence et de prévisibilité des activités militaires et sur les principes sur lesquels se fonde la sécurité européenne.

Je le répète, les Européens mettent sur la table leurs positions et leurs propositions dans l'ensemble des formats de discussion. Nous n'avons pas attendu la séquence en cours pour ce faire, car voilà plus de quatre ans que le Président de la République et moi-même faisons de ce dialogue avec la Russie sur la sécurité et la stabilité stratégiques une priorité.

J'ajoute que le dialogue avec la Russie ne suppose en rien une évolution de notre position, très claire et très ferme, sur le dossier ukrainien. Nous l'avons dit sans ambiguïté à l'occasion du Conseil européen de décembre : soutien indéfectible à l'intégrité territoriale de l'Ukraine et réengagement des discussions au Format Normandie pour parvenir à la pleine application des accords de Minsk.

Des échanges ont eu lieu ces derniers jours à Moscou et, lundi dernier, à Kiev. Nous nous orientons vers une nouvelle réunion au format Normandie, qui se tiendra dans les jours qui viennent. Vous avez pu observer à midi que le Président Zelensky a appelé à une réunion au plus haut niveau dans le cadre de ce Format. Nous avons également indiqué à la Russie que toute nouvelle atteinte à l'intégrité territoriale de l'Ukraine emporterait des conséquences stratégiques et massives. Avec nos partenaires, nous évaluons des options de sanctions économiques fortes à l'encontre de la Russie afin d'augmenter le coût d'une éventuelle intervention militaire. Nous en sommes là à l'heure où je vous parle. Ce n'est pas confidentiel ; tout cela est public.

Nous nous entretiendrons aussi avec nos collègues de l'Union européenne sur le retour de l'Iran et des Etats-Unis dans les négociations du JCPoA. Elles ont repris à Vienne le 29 décembre dernier après avoir été interrompues pendant plus de cinq mois à la demande de l'Iran suite à de nouvelles élections. L'urgence est vitale en raison des actions mêmes de l'Iran et de la trajectoire de son programme nucléaire. Selon l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), l'Iran a pris des mesures lui permettant de doubler sa production d'uranium enrichi à 20% sur le site profondément enterré de Fordo et de poursuivre l'enrichissement à 60% ainsi que ses activités de production d'uranium métal - je rappelle que la teneur d'enrichissement nécessaire à la production d'une arme nucléaire est de 90%. La situation actuelle est donc grave, l'Iran ayant progressé jusqu'à l'avant-dernière étape précédant ce stade ultime.

Les discussions sont en cours mais elles sont trop lentes ; l'écart, sans cesse grandissant, compromet la possibilité de trouver une solution respectueuse des intérêts de chacun dans un calendrier réaliste. Des progrès ont été accomplis fin décembre mais nous sommes loin de conclure la négociation. Afin de ne pas compromettre la possibilité d'un retour au JCPoA, il est indispensable que l'Iran poursuive par ailleurs une coopération pleine et entière avec l'AIEA, comme il s'y était engagé à la fin de l'année dernière.

Au-delà du retour aux normes de base du JCPoA, nous continuons à nous mobiliser pour que l'Iran discute des questions liées à la sécurité régionale. À la fin du mois d'août, à Bagdad, nous avons bâti un cadre susceptible de contribuer à une réflexion commune sur la sécurité dans la zone, la dynamique nucléaire ne pouvant être dissociée de la dynamique régionale : s'approchant d'une capacité nucléaire militaire, l'Iran menace de créer non seulement une grave crise de prolifération mais une crise régionale.

Les tensions régionales restent fortes. À l'occasion de ses déplacements aux Emirats arabes unis, au Qatar et en Arabie saoudite, en décembre, le Président de la République a rappelé la volonté de la France d'engager une dynamique de dialogue plus large, associant les pays de la région et impliquant l'ensemble du P5, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, afin de contribuer à renforcer la stabilité et la sécurité régionales.

Au cours de notre réunion à Brest, nous évoquerons la situation au Sahel. Vous avez évoqué une accumulation de menaces, que je constate avec vous. Le Sahel est la frontière sud de l'Europe, une réalité dont nos partenaires européens sont désormais bien conscients.

Comme ce fut dit par la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) à l'occasion d'un sommet des chefs d'Etat qui s'est tenu le dimanche 9 janvier, ce qui se passe au Mali constitue une véritable fuite en avant de la junte au pouvoir qui, au mépris de ses engagements, veut confisquer le pouvoir et priver le peuple malien de ses choix démocratiques. Il est frappant que les pays d'Afrique de l'Ouest aient critiqué l'absence de volonté politique de la junte malienne pour préparer les élections. Une telle fuite en avant a été fermement et unanimement condamnée par les pays de la CEDEAO, qui ont pris des mesures très fortes face à cette situation inacceptable. Initialement, la junte avait fait part de sa volonté d'organiser des élections au mois de février de cette année, puis elle a proposé à ses voisins de la CEDEAO qu'elles soient reportées en décembre 2026 avant d'engager une petite marche arrière et de proposer leur organisation en décembre 2025. Comme l'a relevé le porte-parole de la CEDEAO, cette junte illégale compte tenir en otage la population malienne jusqu'à cette date.

Les pays de la CEDEAO ont donc pris des dispositions exceptionnelles : fermeture des frontières avec le Mali, suspension des échanges commerciaux - à l'exception des produits de première nécessité -, gel des avoirs du Mali à l'extérieur, rappel des ambassadeurs... une panoplie de mesures strictes et très spectaculaires qui sont, déjà pour partie, appliquées par l'ensemble des pays de l'Afrique de l'Ouest. Nous soutenons pleinement leur action et nous nous concerterons avec nos partenaires européens à Brest pour appuyer les efforts de la CEDEAO en faveur d'un retour rapide de l'ordre constitutionnel.

Dans ce contexte, le déploiement, désormais avéré, des mercenaires du groupe Wagner est symptomatique de cette fuite en avant. Il n'est pas au Sahel parce que la communauté internationale se retirerait mais parce que la junte veut se maintenir au pouvoir à tout prix. Ce déploiement fait peser un risque important sur la stabilité du Mali et de la région. Avec l'ensemble des partenaires européens engagés dans la stabilisation et la sécurité du Mali, nous avons condamné ce choix de la junte de recourir à des mercenaires. J'observe que les pays africains engagés dans la mission de maintien de la paix des Nations unies le condamnent également.

Par ailleurs, dès lors que nous appartenons à une coalition internationale, nous poursuivrons la concertation avec nos partenaires. Soixante acteurs - Etats, organisations internationales - sont ainsi engagés dans la lutte contre le terrorisme et pour le développement de la région. Nous verrons dans les jours qui viennent les évolutions consécutives à cette initiative forte qu'a prise la CEDEAO.

Je rappelle également le risque d'extension de la menace terroriste aux pays côtiers du Golfe de Guinée, comme l'ont montré de récentes attaques terroristes perpétrées au Bénin le mois dernier. Les pays de la région ont instauré en 2017 l'initiative d'Accra de coopération régionale de sécurité réunissant les pays du Sahel et les pays côtiers pour renforcer la coopération - partage de renseignements, conduite d'opérations conjointes contre le terrorisme -, démarche que nous soutenons.

Dans le cadre de la présidence française, nous souhaitons renforcer le soutien européen aux initiatives régionales dans une logique euro-africaine d'appui des capacités de renforcement de l'architecture de sécurité africaine, qui est également l'un des objectifs du prochain sommet de l'Union européenne et de l'Union africaine (UE-UA) qui se tiendra à Bruxelles les 17 et 18 février prochains. Sa préparation est inscrite à l'ordre du jour des deux journées de travail à Brest. Nous y travaillerons avec Moussa Faki Mahamat, le Président de la Commission de l'Union africaine, et avec Aïssata Tall Sall, la ministre sénégalaise des affaires étrangères, le Sénégal assurant dans quelques jours la présidence de l'Union africaine.

Il importera de profiter de la dynamique lancée lors du sommet UE-UA sur le financement des économies africaines pour mettre en place un New deal pour l'Afrique au service de la souveraineté de chacun de nos deux continents visant à refonder le partenariat euro-africain autour du triptyque prospérité, sécurité, mobilité. Tels sont les trois thèmes du sommet UE-UA, qui devrait être préparé vendredi à Brest avec les partenaires que j'ai cités. Il s'agit de promouvoir une relance euro-africaine durable dans tous les domaines où se jouent notre prospérité et notre santé en soutenant les économies africaines, notamment à travers l'allocation de droits de tirage spéciaux au profit du continent sur la base d'un objectif de 100 milliards de dollars, par le renouvellement de nos partenariats en matière de commerce et d'investissement et par l'appui à l'entreprenariat et au développement d'infrastructures de qualité pour donner des perspectives et une stratégie à la jeunesse africaine en particulier.

Dans ce cadre, nous soutiendrons les transitions énergétique et numérique ainsi que la production locale de vaccins, sur laquelle je reviendrai. Je peux d'ores et déjà préciser que les Européens ont livré à ce jour 120 millions de doses à l'Afrique, la France en ayant fourni 19 millions. Il importe d'être présents aux côtés de nos partenaires africains pour qu'ils parviennent à développer des capacités de production autonome.

Dans le cadre de la préparation du sommet UE-UA, nous voulons aussi permettre aux Africains d'accroître leurs capacités sur le plan de la sécurité.

Nous essaierons de repenser la question des mobilités pour favoriser les échanges entre nos deux continents, notamment par l'amélioration du programme Erasmus+ pour l'Afrique et un renforcement des mobilités croisées de nos étudiants et de nos chercheurs.

Au cours de nos travaux, nous aurons l'occasion d'évoquer les relations UE-Chine face à l'attitude de plus en plus intransigeante de Pékin et, en particulier, les pressions économiques et commerciales unilatérales que la Chine impose à certains Etats membres - c'est particulièrement vrai pour la Lituanie, qui sait pouvoir compter sur notre solidarité. Je l'ai indiqué à Riga au mois de décembre : il est urgent de définir et de renforcer notre posture pour dissuader les actes de coercition, notamment économiques, contre des pays tiers. Un projet de règlement de l'Union européenne est sur la table et nous irons aussi loin que possible, sous la présidence française, pour le faire avancer.

Nos échanges, à Brest, permettront également de veiller à ce que l'approche multidimensionnelle de l'Union européenne - qui fait de la Chine, depuis 2019, à la fois un partenaire, un concurrent et un rival systémique - contribue à l'objectif de garantir une relation plus stable et plus prévisible.

Nous aborderons la réponse de l'Union européenne au jeu de plus en plus affirmé - pour ne pas dire offensif - de la Chine dans le système multilatéral, au moment où les Nations unies sont devenues pour la Chine un forum clé pour déployer sa vision du monde et promouvoir sa propre définition du multilatéralisme.

Toujours à Brest, nous évoquerons la préparation du Forum ministériel sur l'espace indopacifique que nous organiserons le 22 février à Paris avec mes homologues de l'Union européenne et de l'Indo-Pacifique pour échanger sur les questions de sécurité, les enjeux de connectivité du numérique et ces biens communs que sont notre santé et notre planète.

Dans le domaine de la sécurité maritime, de la régulation numérique, des mobilités étudiantes ou du renforcement de l'accessibilité au vaccin contre le Covid, nous avons devant nous de nombreux projets très concrets à faire avancer ensemble. Si l'Europe veut devenir une puissance géopolitique, elle ne peut pas se détourner de cette région du monde qui représentera bientôt 60% de la croissance mondiale et concentre déjà trois cinquièmes de la population de la planète.

Enfin, se réuniront à Brest les vingt-sept ministres des affaires étrangères et les vingt-sept ministres de la défense. Vous vous demandez pourquoi cela se passe à Brest ? Parce que c'est à Brest !

(...) Nous nous réunirons pour faire le point de la préparation de notre "boussole stratégique", document qui devra être prêt à être adopté lors du Conseil européen des 24 et 25 mars. Il s'agit, en quelque sorte, du "Livre blanc de la défense européenne" et il constituera une avancée essentielle. Nous devrons agir ensemble pour que cette "boussole stratégique" définisse une appréciation spécifiquement européenne des menaces qui pèsent sur nous.

Par ailleurs, nous devons nous donner les moyens d'agir de manière autonome lorsque nos intérêts de sécurité seront engagés ou lorsque les valeurs auxquelles nous tenons seront en jeu en renforçant nos capacités opérationnelles et industrielles, en complémentarité avec l'OTAN, qui elle-même prépare la définition de son concept stratégique pour le sommet qu'elle organise à Madrid au mois de juin prochain.

Complémentarité mais autonomie stratégique : il s'agit là d'une grande avancée. Pour la première fois, les Européens sont d'accord pour réfléchir ensemble à leurs priorités et à leur manière d'agir afin d'assurer leur propre souveraineté. Nous évoquerons notamment nos intérêts dans ce que nous appelons les espaces contestés et, tout d'abord, sur les mers et les océans : en temps de crise, pouvons-nous assurer une présence maritime coordonnée avec nos partenaires ? Ensuite, dans l'espace exo-atmosphérique : pouvons-nous espérer un sursaut européen de souveraineté dans le domaine spatial ? Enfin, dans le cyberespace et l'espace informationnel où se déploient de nouvelles formes de conflictualité et de nouvelles luttes d'influence, et où il est nécessaire que l'Europe puisse assumer sa propre souveraineté. Tout cela nous aidera à préparer l'avenir de l'Alliance atlantique, qui passe par un rééquilibrage, une refondation des liens entre les Etats-Unis et les Européens.

Q - L'ordre du jour est assez chargé !

R - L'actualité l'impose. Il s'agit de la réunion informelle la plus importante à laquelle les Européens participeront depuis de nombreuses années.

Je vais rapidement évoquer le calendrier du ministère des affaires étrangères.

Les 7 et 8 février, avec Bruno Le Maire et Cédric O, nous participerons à une conférence sur la souveraineté numérique européenne. L'Appel de Paris pour la confiance et la sécurité dans le cyberespace en particulier, projet que l'Union européenne et les Etats-Unis ont rejoint lors du forum de Paris sur la paix, a témoigné de notre détermination à jouer un rôle moteur dans la construction d'un modèle numérique européen susceptible de faire une vraie différence sur la scène internationale. Nous continuerons dans cette voie dans le cadre de la PFUE en faisant avancer notamment le règlement sur les marchés numériques (DMA) et celui sur les services numériques (DSA), qui permettront de travailler au renforcement des conditions de la cyber-sécurité, à l'impératif de régulation, au soutien de ce qu'on appelle les communs numériques, les logiciels libres de droits garants d'un internet libre, transparent, ouvert et sûr.

L'avenir de notre modèle européen comme modèle de croissance fera par ailleurs l'objet d'un sommet en mars, comme le Président de la République l'a annoncé.

À la mi-février, à Lyon, nous nous réunirons avec Olivier Véran dans le cadre d'une réunion informelle des ministres des affaires étrangères et des ministres de la santé autour de trois priorités : valoriser les actions menées par l'Union européenne dans le champ de la santé mondiale en appui aux pays à bas et moyens revenus ; renforcer le rôle de chef de file de l'Union européenne dans l'architecture mondiale de la santé, notamment au sein de l'OMS, et valoriser l'attractivité des régions européennes en matière de santé mondiale, notamment en mettant à l'honneur les atouts de la région lyonnaise. Nous serons amenés à travailler ensemble à la création de capacités de productions vaccinales autonomes en Afrique et dans l'espace indopacifique.

Au cours de la présidence française, nous honorerons d'autres rendez-vous importants.

Tout d'abord, le sommet One Ocean, "Un seul océan", qui se tiendra du 9 au 11 février à Brest pour promouvoir une meilleure gouvernance mondiale des océans autour d'un impératif de gestion durable - qui gère la haute mer ? - et avec la volonté de lutter contre la prolifération des plastiques, en essayant d'amorcer l'élaboration d'un traité.

Ensuite, une réunion informelle sur le développement, que je présiderai aux côtés de Josep Borrell à Montpellier les 6 et 7 mars, sera largement consacrée à la question de la protection de la biodiversité, laquelle doit être au coeur des politiques de développement de l'Union européenne. L'un des éléments centraux de la réflexion portera sur la manière de se mobiliser en faveur de la Grande muraille verte, qui revient au premier plan des préoccupations et qui vise à créer ensemble agro-écologique de l'océan Atlantique à la Corne de l'Afrique.

Enfin, toujours au mois de mars, se tiendra le Forum humanitaire européen d'abord prévu en janvier puis repoussé en raison de la pandémie. Il sera l'occasion de soutenir sur le plan européen tous les engagements humanitaires que nous avons pris ainsi que les engagements présidentiels annoncés à la Conférence nationale humanitaire de décembre 2020, de même que ceux issus du projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales que vous avez voté à l'unanimité.

Tels sont les principaux éléments de cette présidence, qui permettra de renforcer la portée européenne de l'ensemble de nos engagements diplomatiques.

Je me permets de citer un point particulier auquel je suis particulièrement sensible et que je souhaite également aborder au cours de cette présidence : la crise en Haïti qui, dans sa dimension humanitaire en particulier, nécessite une mobilisation forte tant le désastre est considérable et l'inaction assez largement commune. Une réunion ministérielle doit se tenir à ce propos dans les jours qui viennent pour appeler l'attention sur le désastre humanitaire en cours.

Tels sont donc le calendrier, les thèmes et les préoccupations. Nous devrons traiter de nombreux dossiers, plus ou moins risqués, des dossiers qui recèlent des menaces mais aussi des dossiers de développement stimulants.

Je termine mon propos par des observations sur deux crises particulières que vous avez évoquées.

La conférence internationale pour la Libye, à laquelle ont participé sept chefs d'Etat et de gouvernement, a été organisée par le Président Macron le 12 novembre dernier à Paris. Ce fut un exercice de remobilisation internationale décisif dans le cadre de la phase de transition libyenne et la première fois qu'était rassemblé l'ensemble des pays voisins de la Libye en présence des autorités libyennes. Le Conseil de sécurité du 24 novembre a pris acte des résultats de cette conférence et adopté une déclaration de la présidence du Conseil faisant état de deux éléments centraux : l'organisation d'élections, prévues le 24 décembre ; le début d'une démilitarisation extérieure, c'est-à-dire le départ des mercenaires du territoire libyen.

Le report prévisible des élections, lié à des complexités techniques, notamment la nécessité d'habiliter la liste des candidats, a été annoncé par la Haute commission électorale libyenne. Je rappelle que la Libye n'a jamais connu d'élections. Les Libyens se montrent très intéressés puisque trois millions d'entre eux se sont inscrits sur les listes électorales, ce qui n'est pas négligeable quand on connaît la situation de ce pays. Avec nos collègues européens, nous sommes déterminés à faire en sorte que ce report technique se déroule dans les meilleures conditions. La validation juridique de la candidature des quatre-vingt-dix-huit candidats à la présidence de la République libyenne et l'assurance de l'éligibilité de chacun d'entre eux ont pris du temps. Nous devrions cependant aboutir à des élections puisque le processus a été enclenché.

Sur le plan sécuritaire, les premiers retraits des éléments étrangers ont commencé puisque plus de trois cents mercenaires africains se sont retirés de l'est libyen. Nous devrions assister à un départ progressif de l'ensemble des forces et des mercenaires étrangers tel qu'approuvé par la Conférence de Paris.

La mobilisation que nous menons et que nous continuerons à mener vise à éviter une "syrianisation" de la Libye, que j'ai évoquée devant vous à plusieurs reprises, le meilleur moyen étant de procéder aux élections et à la restauration de la souveraineté libyenne.

Ensuite, concernant le Liban, que dire de neuf ? Honnêtement, peu de choses. Un nouveau Premier ministre a été nommé, M. Mikati, qui est sunnite. Il a pu, et nous y avons contribué, renouer des liens avec l'Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et les pays de la péninsule Arabique qui, jusqu'à présent, s'étaient détournés des préoccupations libanaises, en laissant ce pays se débrouiller seul. Lors de la visite du Président Macron dans le Golfe, nous avons pu renouer ces liens et permettre ainsi la création d'un fonds conjoint franco-saoudien d'aide et de soutien aux Libanais, auquel les Emirats contribueront, je pense, prochainement. Il s'agit du seul point positif de la période récente. Pour le reste, le gouvernement libanais n'arrive toujours pas à se réunir en raison d'un blocage d'une partie de la classe politique qui refuse de participer au gouvernement en raison de l'instruction en cours sur l'explosion du port de Beyrouth. Une forme d'obstruction est à l'oeuvre, qui n'est pas acceptable parce qu'elle instrumentalise l'enquête au service d'objectifs politiques alors que les Libanais ont le droit à la vérité.

Si, pour ces raisons, le gouvernement Mikati ne se réunit pas, il a néanmoins commencé à esquisser des initiatives dont nous ne pouvons que nous féliciter - contrôle des frontières, prêt de la Banque mondiale, mise en place d'un dispositif de sécurité sociale, - mais beaucoup reste à faire : la discussion avec le Fonds monétaire international, le rétablissement des services publics essentiels, la réforme du secteur de l'énergie, la réforme portuaire, la réforme des marchés publics. Bref, nous en sommes au tout début, avec pour perspective, au printemps 2022, les élections législatives et présidentielles que les autorités libanaises ont la responsabilité d'organiser.

Il faut rester proche des Libanais et leur faire comprendre que le pluralisme, caractéristique de leur pays, doit leur permettre de dépasser ces difficultés. La pression internationale et le soutien que les uns et les autres apporteront au peuple libanais n'en seront pas moins utiles dans la période qui s'ouvre.

(...)

L'ensemble des questions couvrant un champ assez large, je vous prie de m'excuser si je suis parfois un peu sommaire.

En effet, le groupe Wagner est présent au Mali, avec l'accord gouvernement malien. Ce groupe, que nous avons vu à l'oeuvre en particulier en République centrafricaine, se distingue par ses prédations, ses exactions et son irresponsabilité, puisque personne n'en est responsable. Il est d'ailleurs assez frappant que lorsque l'on interroge nos collègues russes et maliens à son propos, ils déclarent ne pas en connaître l'existence. À la limite, cela pourrait s'entendre pour les Maliens, encore que l'arrivée significative de ce groupe à l'aéroport de Bamako doit bien être autorisée par quelqu'un. Il serait en revanche étonnant que les autorités russes, quand il s'agit de mercenaires qui sont d'anciens combattants russes, dotés d'armes russes et transportés par des avions russes, ne le sachent pas. Je le dis très clairement : nous sommes là dans le mensonge.

Le groupe Wagner se finance à travers la prédation des ressources des pays concernés, en particulier en République centrafricaine. J'ignore, en l'état, ce que les autorités maliennes ont accordé en échange à ce groupe mais elles ont discuté pour qu'il puisse "se payer sur la bête", si je puis dire, car c'est exactement ainsi que cela se passe.

J'ajoute qu'il ne s'agit pas d'une diversification de la sécurité puisque le groupe Wagner est "anonyme" et que personne n'en est responsable.

La France et l'Union européenne, précisément, veulent former les forces armées de ces pays, au Mali comme ailleurs. À cette fin, je vous conseille de rendre visite à l'EUTM Mali - mission de formation de l'Union européenne au Mali - qui forme l'armée malienne, comme l'EUTM RCA forme l'armée centrafricaine. L'objectif de ce dispositif européen est bien de faire en sorte que les Africains puissent assurer leur sécurité eux-mêmes.

La question de M. Quentin sur la Syrie est claire, notre réponse l'est tout autant : la réouverture de notre ambassade à Damas n'est pas d'actualité. La question ne se posera pas tant que nous n'aurons pas observé de changements significatifs sur le terrain. Sans contrepartie préalable, tout pas accompli dans cette direction non seulement ne changerait rien à la situation que subissent les Syriens mais serait immédiatement instrumentalisé.

S'agissant de l'Ukraine, je pense avoir dit l'essentiel dans mon propos introductif. Le format Normandie, un temps, a été au point mort mais il me semble que nous pouvons aujourd'hui le réactiver, d'autant plus que le Président Zelensky a fait des déclarations significatives à cet égard et que des contacts récents ont été pris à l'initiative du Président de la République afin de reprendre le processus. Nous savons ce qu'est l'essentiel pour que les choses aboutissent : l'intégrité de l'Ukraine, les perspectives humanitaires, que ce soit à travers les échanges de prisonniers, le retrait des armes lourdes, le déminage ou l'ouverture de portes d'accès sur la ligne de séparation. Nous connaissons également ces enjeux politiques que sont le futur statut du Donbass et le processus électoral. Tout cela est sur la table depuis un certain temps et fait partie des accords de Minsk. Il faut reprendre cette discussion et j'espère que nous serons bientôt au rendez-vous.

Nous sommes solidaires de la Lituanie. La Chine a pris des mesures contre ce pays parce qu'il a ouvert un bureau à Taïwan et qu'il a quitté le forum dit des "17+1", qui a été impulsé par la Chine et lui permet de retrouver régulièrement un certain nombre de partenaires européens indépendamment de l'Union européenne. Pendant la présidence française de l'Union européenne, nous voulons prendre des mesures anti-coercition permettant à l'Europe de se défendre contre de telles initiatives.

Un plan d'action pour la reconnaissance internationale de la souveraineté française sur Mayotte existe, en effet. J'ai moi-même ouvert l'an dernier, dans les locaux de l'ambassade de France à Madagascar, un bureau du conseil départemental de Mayotte. Cela participe de la défense de ce territoire qui fait partie de la République française.

Même si cela ne fait pas plaisir à M. Hutin, je dirai à M. Girardin que pour avoir suivi les dossiers de défense et la montée en puissance de la défense européenne depuis dix ans, les sauts qualitatifs sont considérables. En 2015, j'ai eu l'occasion de présenter à mes collègues de la défense de l'époque - avec Mme von der Leyen, alors ministre allemande de la défense - un dispositif appelé coopération structurée permanente (CSP). Il s'agissait de commencer à agir ensemble, ne serait-ce qu'à travers la coordination de nos services de santé. Nous avions alors été quasiment mis au ban de l'ensemble des Vingt-huit, lesquels jugeaient inepte d'imaginer une défense européenne.

Aujourd'hui, le Fonds européen de défense est doté de 8 milliards, les Vingt-sept se retrouvent autour de la CSP et de l'Initiative européenne d'intervention et des opérations militaires européennes se déroulent entre Européens - Takuba, Irini, la MISO (Military Information Support Operations). Certes, il faut aller au-delà mais les avancées sont spectaculaires parce que les Européens ont conscience qu'ils doivent assurer eux-mêmes leur sécurité. Vous avez cité des exemples de coopération en matière d'armement mais il en est bien d'autres, y compris s'agissant de l'avion et du char de nouvelle génération, avec l'Allemagne, à laquelle, pour l'avion, s'est joint l'Espagne. La base industrielle et technologique de défense (BITD) est quant à elle en phase d'activation. Nous nous inscrivons dans une logique positive que la "boussole stratégique" permettra de valider lorsqu'elle sera achevée, lors du Conseil européen du mois de mars.

À propos de l'action des Russes, je suis frappé par la solidarité et la solidité les acteurs de l'Afrique occidentale pour défendre leur souveraineté. Leur expression commune, forte et significative, illustre une forme de résilience à mon avis très positive.

La situation migratoire en Biélorussie est à peu près stabilisée, même si elle n'est pas tout à fait revenue à la normale. Nous continuons à suivre avec attention cette question. La tentative d'instrumentalisation par Loukachenko a échoué parce que les Européens se sont montrés solidaires, qu'ils ont su se défendre et faire en sorte de maintenir la frontière avec la Biélorussie. Ensemble, nous avons pu réduire significativement la tentative de déstabilisation de l'Union européenne, avec l'acceptation passive de la Russie, et nous avons su agir avec les pays tiers qui étaient eux-mêmes instrumentalisés suite aux vols en provenance d'Irak notamment.

Cela n'empêche pas que la situation de la Biélorussie soit dramatique, la dictature risquant de se renforcer après le "vol" des élections de 2020 par Loukachenko, lequel veut désormais organiser une réforme de la Constitution, en février, qui portera un nouveau coup d'arrêt à toute forme d'expression de l'opposition. Nous continuerons de soutenir la population biélorusse, nous poursuivons nos envois d'aide humanitaire et nous continuons à rencontrer régulièrement l'opposition, comme j'ai eu l'occasion de le faire à plusieurs reprises en rencontrant Mme Tikhanovskaïa.

S'agissant de l'initiative franco-italienne concernant le Pacte de stabilité et de croissance et son évolution, l'élaboration d'un nouveau modèle de croissance pour l'Europe sera décisive. À cette fin, il est indispensable que nous préservions nos capacités à produire et à investir. Il faudra donc prévoir des règles budgétaires adaptées et une coordination accrue, pas uniquement en période de crise. C'est le sens de la proposition des Présidents Draghi et Macron. Lors du sommet des 10 et 11 mars annoncé par le Président de la République, il nous incombera de définir le modèle de croissance de l'Europe et de relancer le débat.

Monsieur Hutin, je me présente pour la trente-sixième fois devant votre commission. Je regrette de ne pas avoir pu être là au mois de décembre mais cela tenait à l'actualité. J'imagine que vous étiez vous-même présent aux débats organisés par le Gouvernement et lors de la présentation de la PFUE par le Premier ministre dans l'hémicycle.

Vous allez vous rendre à Beyrouth et vous pourrez constater l'immense flux migratoire, la population quittant le pays dès qu'elle le peut. Ceux qui restent vivent dans des conditions humanitaires et sanitaires déplorables parce que les groupes politiques qui constituent l'ossature du Liban n'avancent absolument pas et ne prennent pas en compte les intérêts de la population et de leur pays. Les bonnes intentions du Premier ministre Mikati n'ont jamais pu se traduire dans les faits ; sans doute convient-il d'attendre les élections du printemps prochain mais encore faut-il qu'elles soient transparentes et qu'elles aboutissent à un résultat, faute de quoi ce pays risque de sombrer définitivement.

Monsieur Habib, j'ai répondu à votre question concernant M. Shaath lors de la séance des questions d'actualité.

Q - Et à propos d'Esther Horgen ?

R - Je ne réponds pas à des questions personnelles publiquement.

Monsieur Clément, je partage votre avis à propos de la fragilité du Burkina Faso. Je sais que les autorités burkinabè s'efforcent de remédier aux difficultés que rencontrent leurs forces armées. Un processus démocratique a eu lieu ; le Président Kaboré a été réélu et son élection n'a été contestée en aucune manière. Il faut là encore aider ces pays à structurer leur propre sécurité, comme le fait le G5 Sahel. Nous sommes à la disposition du Président Kaboré pour lui apporter le soutien qu'il demande.

Lors des entretiens de Rome entre les Présidents Biden et Macron, des engagements ont été pris, en particulier dans le domaine de la logistique et du renseignement, qui se sont très clairement concrétisés.

Je partage vos inquiétudes à propos de l'Afghanistan, où la situation humanitaire est dramatique. Le ministère des affaires étrangères a contribué à hauteur de 100 millions pour y répondre, lesquels ont été entièrement décaissés et confiés pour l'essentiel aux agences onusiennes. D'autres opérations humanitaires doivent être soutenues. Je vous rappelle que nous en avons menée une au mois de décembre, conjointement avec le Qatar, afin de fournir une assistance médicale. Avec d'autres, nous contribuons à aider ce peuple martyr pour qu'il puisse passer l'hiver dans des conditions moins catastrophiques, mais encore faut-il que l'aide humanitaire soit acheminée directement aux populations. Pour ce faire, nous avons besoin de la garantie des Nations unies. C'est la raison pour laquelle nous passons par elles.

Depuis ma prise de fonction à ce ministère, j'ai entrepris de lever les verrous qui, structurellement, font obstacle à l'avancement des femmes. Nous faisons en sorte de procéder à des primo-nominations de directrices, de consules et d'ambassadrices. Nous continuons à progresser régulièrement. Pour les consules, qui sont les viviers de nos futures ambassadrices, nous avons compté en 2020 45% de primo-nominations. Nous atteignons donc quasiment la parité. Quant aux ambassadrices, leur nombre a doublé en cinq ans : de vingt-trois en 2017, elles sont passées à cinquante à l'automne 2020.

De la même manière, nous avons instauré un dispositif de signalement des agissements sexistes avec la cellule "Tolérance zéro". Nous avons également programmé un plan de sensibilisation qui permettra de former nos personnels à ces problématiques afin que nous puissions traiter ces difficultés sans aucune forme de complaisance.

Comme nous avons un ambassadeur pour l'Afghanistan, nous avons une ambassadrice pour la Syrie qui suit les dossiers syriens sans être ambassadrice déléguée auprès des autorités syriennes. La situation est la même depuis dix ans.

Je ne vais pas entrer dans un débat TIAN-TNP (traité sur la non-prolifération des armes nucléaires) mais dès lors que vous vous félicitez que les cinq membres du Conseil de sécurité réaffirment leur position concernant le TNP, il n'est pas possible de dire que le TIAN est le bon outil. Celui qui, aujourd'hui, garantit la non-prolifération, c'est le TNP, sur lequel nous sommes très vigilants pour le maintenir tel quel. Nous sommes en revanche très réservés sur l'évolution du TIAN. Cela suscite des débats certes, mais, comme vous l'avez rappelé, parmi les Vingt-sept membres de l'UE, nous sommes le seul pays à disposer de l'arme nucléaire.

Par ailleurs, nous avons déjà eu l'occasion d'expliquer notre politique diplomatique s'agissant des discussions internationales sur la réduction d'attaques sans discrimination et disproportionnées en zone habitée. Nous considérons, avec d'autres Européens, que l'enjeu n'est pas une interdiction mais une bonne application du droit international humanitaire. Nous nous sommes engagés dans la négociation d'une déclaration politique qui permettra d'améliorer réellement la protection des civils.

Concernant l'utilisation éventuelle de moyens de renseignements à des fins qui ne correspondent pas à la lutte contre le terrorisme en Egypte, nous avons diligenté une enquête à la suite des révélations sur l'opération Sirli. Les moyens de renseignement que nous avions mis à disposition de ce pays étaient exclusivement destinés à lutter contre Daech, qui dominait alors en Libye - c'est-à-dire très près de nous -, avec les risques que cela représentait pour nous. Si ces moyens ont été utilisés à d'autres fins, cela ne correspond pas à leurs règles d'engagement, qui devaient répondre aux strictes exigences que je viens de rappeler.

(...)

Mesdames Le Peih, Tanguy et Pouzyreff, je crains que nous ne soyons en désaccord : la stratégie européenne concernant l'Ukraine existe bel et bien. Il ne faut pas vous laisser entraîner par la petite musique, diffusée en grande partie sous influence russe, selon laquelle la Russie ne parlerait désormais qu'aux Etats-Unis pour régler tous les problèmes.

La situation que j'ai exposée concernant l'Ukraine montre que ce sont les Européens qui discutent avec les Russes et avec les Ukrainiens - qui sont tout de même un peu des Européens -, lesquels discutent avec l'Allemagne et la France sur la base des accords de Minsk. La Russie a peut-être été intéressée, un temps, à empêcher un tel mécanisme mais il a redémarré. Ce sont donc les Européens qui sont à la manoeuvre.

Ils le sont également au sein de l'OTAN s'agissant de la sécurité de l'Europe et des relations avec la Russie puisque, parmi les trente pays qui composent l'Organisation, on compte nombre de pays européens, lesquels débattent de la définition du projet dont devront discuter les principaux responsables de la Russie et de l'OTAN demain. J'ai participé vendredi dernier à la préparation de cette réunion. Les Européens ont fait part de leur point de vue et je me suis exprimé au nom de la présidence française mais aussi en tant que représentant du Haut représentant, M. Borrell. Si la discussion sur l'armement stratégique ne se déroule qu'entre les Russes et les Américains, c'est que le traité Start n'a été conclu qu'entre ces deux puissances, la position américaine ayant été quant à elle élaborée en concertation avec les Européens. Enfin, à l'OSCE, qui est présidée par la Pologne, où tous les Européens sont présents et où l'on décide des fondamentaux, ce sont les Européens qui donnent le ton.

Les Européens sont donc bien à la manoeuvre ; ils décident de leurs orientations, qu'ils communiquent à travers tous les canaux possibles, et ils assument pleinement leur souveraineté parce que la sécurité des Européens passe par les Européens et non par des ordres donnés de l'extérieur. La sécurité des Européens se fera par les Européens.

(...)

Je vous assure que nous aborderons la question de tous les engagements que je viens d'évoquer au "Gymnich" et qu'elle sera centrale. Il n'en reste pas moins que les Européens sont "en phase". Le constat effectué sur nos relations avec la Russie repose sur un accord général. Si des divergences d'approche dues, entre autres, à l'histoire et la géographie ont pu exister, il faut vraiment s'inscrire en faux contre cette antienne diffusée par les Russes, lesquels appréhendent en effet, une discussion avec l'Union européenne et préfèrent essayer de la déstabiliser de l'intérieur - d'où Loukachenko et autres...

Nous souhaitons que la Macédoine du Nord et la Bulgarie trouvent un terrain d'entente pour nous permettre d'engager la conférence intergouvernementale sur la Macédoine du Nord et l'Albanie. Nous souhaitons que cela se passe sous présidence française mais un blocage bulgare demeure sur la Macédoine du Nord. Le nouveau gouvernement bulgare a indiqué qu'il lui faudrait du temps avant de trouver un accord mais qu'il allait y parvenir. De plus, si je suis bien au fait de l'actualité politique internationale, un nouveau gouvernement doit être investi en Macédoine du Nord dans les prochains jours. Il permettra, je l'espère, de trouver un bon accord entre les deux pays. Nous ne souhaitons pas découpler le processus d'adhésion entre l'Albanie et la Macédoine du Nord.

Madame Clapot, la situation des femmes en Afghanistan est bien conforme à celle que vous avez décrite. Vous savez comme moi que les atteintes aux droits des femmes se sont multipliées avec les talibans : restriction de la pratique du sport, interdiction aux chaînes de télévision afghanes de diffuser des séries mettant en scène des femmes, interdiction pour les femmes de voyager non voilées, interdiction de se déplacer à plus de 72 kilomètres sans être accompagnées par un homme, etc. La situation est absolument dramatique.

Lors de la prise de pouvoir par les talibans à Kaboul, j'avais posé cinq conditions - qui ont fait l'objet d'un consensus européen - indispensables à toute forme de reconnaissance de ce gouvernement intérimaire, parmi lesquelles le respect des droits humains, notamment celui des droits des femmes et des filles. Elles ne sont pas réunies et nous devons soutenir le combat des femmes afghanes. Nous le faisons à travers des financements spécifiques et les Nations unies. Nous avons notamment fait en sorte que la dignité des femmes afghanes soit régulièrement réaffirmée et l'Union européenne s'est fortement mobilisée aux côtés des femmes et des filles dont les droits élémentaires sont bafoués. C'est un combat que nous devons poursuivre de manière très vigoureuse.

Nous poursuivons les opérations d'évacuation d'Afghanes et Afghans menacés de manière imminente en raison de leur engagement à nos côtés ou des valeurs que nous avons en partage. Nous avons pu bénéficier de partenariats avec le Qatar. Dernièrement, deux-cent-soixante personnalités afghanes qui étaient en danger en raison de leurs engagements ont été évacuées mais de telles opérations deviennent de plus en plus difficiles.

Nous disposons d'informations sur les Afghans qui se rendent au Pakistan, notamment pour rejoindre la France. Nos consulats instruisent les procédures afin d'accélérer l'obtention des visas. Si vous connaissez une personne en particulier, enjoignez-lui de s'adresser au consulat concerné, tous étant très mobilisés.

Par décision du Président de la République, 120 millions de doses ont été donnés à des pays en difficulté qui ne peuvent en acquérir eux-mêmes, dont 75 millions sont engagés. Par ailleurs, le dispositif COVAX, impulsé par le Président de la République, a d'ores et déjà permis la livraison d'un milliard de doses dans cent quarante-quatre pays. Ce mouvement va se poursuivre, l'Europe ayant exporté davantage de doses qu'elle n'en a elle-même consommé et constituant le principal fournisseur de doses de vaccin dans le monde.

Parallèlement, nous nous sommes engagés en Afrique afin que ce continent puisse produire des vaccins, à la fois grâce aux dispositifs des licences volontaires et des licences obligatoires que nous promouvons dans l'Union européenne. Nous dresserons un bilan provisoire de ces opérations à l'occasion de la réunion organisée avec Olivier Véran.

Je souhaite que nous travaillions plus encore avec l'Union africaine sur la question difficile de la vaccination en tant que telle. Grâce à la force du mouvement que nous avons impulsé, les pays africains reçoivent des dons mais ils ne sont pas distribués assez rapidement, ce qui soulève la question des problèmes rencontrés par leurs systèmes de santé. Il faut les aborder avec les autorités africaines, même si la situation varie selon les pays et selon les régions au sein de chaque pays.

J'ignore si la presse continue à m'écouter mais, s'agissant du Yémen, on entend toujours parler de "ces méchants Saoudiens qui continuent à bombarder, etc.". Il est vrai que c'est une sale guerre, mais peut-être faut-il faire un retour sur le passé. Il fut un temps où le gouvernement yéménite était reconnu internationalement avec, à sa tête, le Président Hadi, aujourd'hui en exil parce qu'il a été renversé par les Houthis, soutenus par l'Iran, au profit du Président Saleh, qui lui-même a été exécuté par ces mêmes Houthis qui, aujourd'hui, bombardent l'Arabie saoudite.

Il n'est donc pas possible d'aborder la question yéménite uniquement à travers des incantations contre l'Arabie saoudite. Quand votre pays est atteint par des armements utilisés par les Houthis et fournis par l'Iran, cela peut agacer. Même si j'estime qu'il s'agit d'une guerre inutile et qu'il faut s'engager dans un processus de paix, il n'empêche qu'il faut, de temps à autre, "remettre les choses d'équerre", ce qui n'est pas si simple.

Il est souhaitable que les Saoudiens prennent des initiatives de paix, ce qu'ils ont commencé à faire, de même que les Emiriens, mais il faut que les Houthis comprennent qu'il n'y aura pas d'autre sortie qu'à travers un cessez-le-feu et un dispositif politique. J'ajoute que le Président Hadi a demandé le soutien de ses partenaires quand il a été destitué par les forces houthies.

Comme vous, je suis préoccupé par la situation de Mme Reyckya Madougou, au Bénin. J'ai eu l'occasion de m'exprimer sur le sujet et de faire pression auprès des autorités béninoises, en particulier lors de la visite du Président Talon en France, en novembre 2021. Lorsque nous recevons des chefs d'Etat de pays où se posent des questions relevant des droits de l'homme ou lorsque nous nous déplaçons, le Président de la République, moi-même et d'autres ministres les évoquons toujours ; à force de le faire, on obtient parfois des résultats mais la ténacité est indispensable.

Le groupe Wagner est présent pour soutenir la junte en faisant croire qu'il vient combattre le terrorisme. Par ailleurs, il n'est pas rémunéré sur des crédits financiers mais sur des actes de prédation sur les ressources du pays, notamment celles des mines.

Le JNIM et l'EIGS, l'Etat islamique au Grand Sahara, dépendent de holdings terroristes bien connus, Al-Qaïda au Maghreb islamique et Daech, dont ils reçoivent directement leurs ordres. Ce n'est pas parce qu'il arrive que tel ou tel fasse amende honorable et prenne des initiatives plus souples qu'il faut oublier leur rattachement à la maison mère, si je puis utiliser ce terme. Si les uns ou les autres veulent prouver leur attachement à la paix, il suffit qu'ils rejoignent les accords d'Alger, comme certains l'ont fait. Même si le JNIM manifeste, localement, quelques vertus, il n'en reste pas moins qu'un Français victime d'AQMI est toujours otage au Mali.

Je n'émets aucun pronostic sur Seif al-Islam, le fils de Mouammar Kadhafi, et je n'ai pas à en formuler. Il fait ses choix, les Libyens feront les leurs.

Un processus reconnu internationalement est en cours au Tchad, la période de transition devant conduire à une réforme constitutionnelle et à une procédure électorale. Le lancement du dialogue national inclusif, étape indispensable de la transition, est prévu le 15 février. J'observe que depuis sa prise de fonction, le Président Mahamat Idriss Déby a fait ce qu'il a dit.

La situation du Tchad est très différente de celle du Mali. Au Tchad, le Président Idriss Déby Itno, tué au combat, doit être remplacé. Une solution de transition a été trouvée par un accord entre différents acteurs, y compris le Président de l'Assemblée nationale tchadienne qui, normalement, aurait dû assurer l'intérim mais qui a refusé. Ce mouvement est en cours et me semble plutôt positif. Nous espérons donc qu'il se poursuivra et que nous pourrons aboutir à une stabilisation future, prévue, selon le calendrier retenu, au mois de septembre 2022.

Je ne sous-estime pas les réactions anti-françaises au Mali mais je m'interroge parfois sur les manipulations d'un certain nombre de réseaux sociaux et d'acteurs. La Russie profite de certaines instabilités comme elle l'a fait en République centrafricaine, quand les autorités du pays ont demandé au groupe Wagner de venir s'y installer. Je ne crois pas à un axe Moscou-Alger. Les autorités algériennes ont témoigné de leur volonté d'aider les pays de la CEDEAO pour parvenir à une solution positive.

Monsieur El Guerrab, je m'associe à l'hommage que vous avez rendu au Président Sassoli, que j'ai reçu il y a peu de temps au Quai d'Orsay dans le cadre de la préparation de la présidence française.

Je me rendrai à Tripoli dès que je le pourrai, ce qui n'est pas possible actuellement en raison d'un calendrier chargé et d'une situation qui n'est pas toujours stable.

En Tunisie, nous souhaitons que le processus politique annoncé par le Président Saïed intervienne le plus rapidement possible. Le référendum est prévu fin 2022. Ces réformes institutionnelles sont bienvenues mais un retour rapide au bon fonctionnement des institutions tunisiennes serait très opportun. J'espère que les autorités pourront aboutir à un dispositif inclusif et que le peuple tunisien sera consulté rapidement.

D'un point de vue stratégique général, au-delà des enjeux, pour l'Europe et pour l'avenir de l'économie mondiale, autour de la zone indopacifique, nous devons contribuer à l'instauration d'un modèle alternatif entre la conflictualité avec la Chine, souhaitée par certains, et la sujétion que d'autres - je pense à la Chine - souhaitent exercer sur des pays riverains. Nous voulons proposer un modèle qui respecte la souveraineté des pays et leur propre développement mais, aussi, qui favorise des initiatives dans les domaines du numérique, de l'environnement, de la connectivité, de la maritimité, de la santé mondiale et de la défense. J'attends de ce forum des actions concrètes car nous ne gagnerons en crédibilité que si nous développons des projets efficaces dans l'ensemble de ces domaines. Nous ne nous désolidarisons pas des Etats-Unis et nous ne nous plaçons pas à équidistance entre eux et la Chine : nous voulons montrer que nous pouvons ouvrir une voie alternative mobilisatrice, dans le respect des souverainetés.

Je n'ai pas encore choisi le nouveau nom de l'Agence française de développement, mais il changera.

Le plan de relance africain, le New Deal préparé par l'Union européenne et l'Union africaine, passe par le financement d'infrastructures et l'affectation efficace de 100 milliards de dollars de droits de tirage spéciaux qui, je l'espère, seront mobilisés.

S'agissant des fonds susceptibles d'être affectés au Mali, nous prenons des dispositions pour éviter que des financements directs puissent bénéficier aux autorités maliennes. L'Union européenne et la France ont ainsi suspendu leurs aides directes. Nous étudions également la situation après les affirmations de la CEDEAO de dimanche dernier afin d'éviter que les autorités putschistes maliennes bénéficient de fonds de développement qui, en l'occurrence, seraient indus.

Je partage vos inquiétudes et vos propos sur l'effroyable massacre du 24 décembre en Birmanie. Le Président de la République, M. Win Myint, et Mme Aung San Suu Kyi sont non seulement toujours détenus mais leur peine a été prolongée hier, lundi 10 janvier. Les peines cumulées sont très lourdes et spectaculaires. Nous avons condamné à plusieurs reprises la junte birmane et, à notre demande, des sanctions ont été prises sur le plan européen, à la fois à l'encontre d'individus mais aussi d'entités économiques qui alimentent la junte au pouvoir, en particulier des conglomérats militaires. Nous continuerons à faire preuve d'une grande détermination à ce sujet. Nous prenons donc des mesures ciblant les intérêts des militaires mais nous essayons d'épargner la population civile et les plus vulnérables, qui sont les premiers touchés par la crise. Nous avons maintenu notre aide humanitaire à la société civile, y compris notre aide à la vaccination, en livrant plus d'un million de doses./.

(Source : site Internet de l'Assemblée nationale)

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