Friday, February 17, 2017

Le Conseil Constitutionnel de France

Maxime GAUIN – Le Conseil constitutionnel anéantit les prétentions du communautarisme arménien!
conseil constitutionnel2

Le Conseil constitutionnel anéantit les prétentions du communautarisme arménien!

J'analyse ici en détail la décision du Conseil constitutionnel qui a censuré un amendement à la loi Égalité et citoyenneté, visant à restreindre, voire supprimer, la liberté d'expression sur des tragédies du passé.
Cette mesure salutaire est aussi une victoire contre un courant politique qui n'a pas reculé devant la violence terroriste, y compris sur le sol français.
Le 26 janvier 2017 a marqué la fin d’une période de vingt-trois ans, pendant laquelle les nationalistes arméniens, issus pour partie du terrorisme et du soutien au terrorisme, ont tenté d’imposer des mesures liberticides sur l’histoire ottomane tardive. En effet, le Conseil constitutionnel a censuré, en tout ou partie, quarante-huit articles de la loi Égalité et citoyenneté, et notamment une partie de l’article 173 (ce qui correspond à l’article 38 ter dans une première version du projet de loi) :
« 191. Le 2° de l'article 173 de la loi déférée modifie l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881. En application du dernier alinéa de ce 2°, la négation, la minoration ou la banalisation de façon outrancière d'un crime de génocide, d'un crime contre l'humanité, d'un crime de réduction en esclavage ou d'un crime de guerre sont punies d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende lorsque cette négation, cette minoration ou cette banalisation constituent une incitation à la violence ou à la haine par référence à la prétendue race, la couleur, la religion, l'ascendance ou l'origine nationale.
192. Aux termes de l'article 11 de la Déclaration de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi». L'article 34 de la Constitution dispose : « La loi fixe les règles concernant... les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ». Sur ce fondement, il est loisible au législateur d'édicter des règles concernant l'exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, d'écrire et d'imprimer. Il lui est également loisible, à ce titre, d'instituer des incriminations réprimant les abus de l'exercice de la liberté d'expression et de communication qui portent atteinte à l'ordre public et aux droits des tiers. Cependant, la liberté d'expression et de communication est d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés. Il s'ensuit que les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi.
193. Le dernier alinéa du 2° de l'article 173 permet de réprimer la négation de certains crimes, lorsque cette négation constitue une incitation à la violence ou à la haine par référence à la prétendue race, la couleur, la religion, l'ascendance ou l'origine nationale, y compris si ces crimes n'ont pas fait l'objet d'une condamnation judiciaire.
194. En premier lieu, si la négation, la minoration ou la banalisation de façon outrancière de certains crimes de génocide, crimes contre l'humanité, crimes de réduction en esclavage ou crimes de guerre peuvent constituer une incitation à la haine ou à la violence à caractère raciste ou religieux, elles ne revêtent pas, par elles-mêmes et en toute hypothèse, ce caractère. De tels actes ou propos ne constituent pas non plus, en eux-mêmes, une apologie de comportements réprimés par la loi pénale. Dès lors, la négation, la minoration ou la banalisation de façon outrancière de ces crimes ne peuvent, de manière générale, être réputées constituer par elles-mêmes un abus de l'exercice de la liberté d'expression et de communication portant atteinte à l'ordre public et aux droits des tiers.
195. En deuxième lieu, aux termes du septième alinéa de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 actuellement en vigueur, est puni d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le fait de provoquer à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. Dès lors, les dispositions introduites par le dernier alinéa du 2° de l'article 173, qui répriment des mêmes peines des propos présentant les mêmes caractéristiques, ne sont pas nécessaires à la répression de telles incitations à la haine ou à la violence.
196. En troisième lieu, et compte tenu de ce qui est rappelé au paragraphe précédent, le seul effet des dispositions du dernier alinéa du 2° de l'article 173 est d'imposer au juge, pour établir les éléments constitutifs de l'infraction, de se prononcer sur l'existence d'un crime dont la négation, la minoration ou la banalisation est alléguée, alors même qu'il n'est pas saisi au fond de ce crime et qu'aucune juridiction ne s'est prononcée sur les faits dénoncés comme criminels. Des actes ou des propos peuvent ainsi donner lieu à des poursuites au motif qu'ils nieraient, minoreraient ou banaliseraient des faits sans pourtant que ceux-ci n'aient encore reçu la qualification de l'un des crimes visés par les dispositions du dernier alinéa du 2° de l'article 173. Dès lors, ces dispositions font peser une incertitude sur la licéité d'actes ou de propos portant sur des faits susceptibles de faire l'objet de débats historiques qui ne satisfait pas à l'exigence de proportionnalité qui s'impose s'agissant de l'exercice de la liberté d'expression.
197. Il résulte de ce qui précède que le législateur, en réprimant la négation, la minoration et la banalisation de certains crimes n'ayant fait l'objet d'aucune condamnation judiciaire préalable, a porté une atteinte à l'exercice de la liberté d'expression qui n'est ni nécessaire ni proportionnée. Le dernier alinéa du 2° de l'article 173 est donc contraire à la Constitution. »
            À force d’insistance, les nationalistes arméniens n’ont obtenu que des défaites toujours plus cuisantes. En effet, pour la première fois, le Conseil constitutionnel parle de « faits susceptibles de faire l’objet de débats historiques ». La plus haute juridiction française nous dit donc que l’accusation de « génocide arménien », comme d’autres tragédies du passé, relève du « débat historique » et non des tribunaux. C’est la dimension religieuse prise par le nationalisme arménien sur la question de 1915 qui prend ici son plus sévère camouflet (nier jusqu’à l’idée même du débat, puisqu’on n’a pas d’argument convaincant). Or, si la censure au nom du principe de légalité des peines (la loi doit être claire, la sanction prévisible) était prévisible par toute personne ayant fait ne serait-ce qu’un premier semestre de première année de droit à quart temps (comme l’était l’avis du Conseil d’État, en avril 2013, détruisant un avant-projet de loi qui n’avait pour but que d’amuser la galerie), rien n’obligeait le Conseil constitutionnel à mentionner explicitement les « débats historiques ». C’est qu’à force d’insister, les extrémistes arméniens ont fini par exaspérer les Sages.
En effet, le Conseil s’était déjà exprimé deux fois sur le sujet, d’une façon remarquable, mais pas aussi dévastatrice.
            En 2012, il avait censuré la proposition de loi Boyer en ces termes :
            « 6. Considérant qu'une disposition législative ayant pour objet de «reconnaître » un crime de génocide ne saurait, en elle-même, être revêtue de la portée normative qui s'attache à la loi ; que, toutefois, l'article 1er de la loi déférée réprime la contestation ou la minimisation de l'existence d'un ou plusieurs crimes de génocide « reconnus comme tels par la loi française » ; qu'en réprimant ainsi la contestation de l'existence et de la qualification juridique de crimes qu'il aurait lui-même reconnus et qualifiés comme tels, le législateur a porté une atteinte inconstitutionnelle à l'exercice de la liberté d'expression et de communication ; que, dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, l'article 1er de la loi déférée doit être déclaré contraire à la Constitution ; que son article 2, qui n'en est pas séparable, doit être également déclaré contraire à la Constitution, […] »
            Il s’en tenait donc à une position de principe, sur la liberté d’expression et l’incompétence du Parlement pour imposer une qualification juridique.
            En 2016, à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil jugeait :
            «  9. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi «doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité devant la loi pénale ne fait pas obstacle à ce qu'une différenciation soit opérée par le législateur entre agissements de nature différente ;
10. Considérant que, d'une part, la négation de faits qualifiés de crime contre l'humanité par une décision d'une juridiction française ou internationale reconnue par la France se différencie de la négation de faits qualifiés de crime contre l'humanité par une juridiction autre ou par la loi ; que, d'autre part, la négation des crimes contre l'humanité commis durant la seconde guerre mondiale, en partie sur le territoire national, a par elle-même une portée raciste et antisémite ; que, par suite, en réprimant pénalement la seule contestation des crimes contre l'humanité commis soit par les membres d'une organisation déclarée criminelle en application de l'article 9 du statut du tribunal militaire international de Nuremberg, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale, le législateur a traité différemment des agissements de nature différente ; que cette différence de traitement est en rapport avec l'objet de la loi du 13 juillet 1990 susvisée qui vise à réprimer des actes racistes, antisémites ou xénophobes ; que le grief tiré de l'atteinte au principe d'égalité devant la loi pénale doit être écarté ; »
            Le Conseil constitutionnel apportait ainsi un élément supplémentaire par rapport à 2012 : le négationnisme, le vrai (la négation de la Shoah en général et des chambres à gaz en particulier), a en lui-même une portée raciste ; sa répression se justifie par la nécessité de lutter contre le racisme et de défendre l’autorité de la chose jugée ; ce qui le différencie des thèses portant sur d’autres évènements historiques, qui n’ont fait l’objet d’aucun jugement par une juridiction française ou internationale, reconnue par la France. En 2017, c’est un nouveau tour de vis, la référence à la légitimité des « débats historiques » faisant son apparition dans la jurisprudence du Conseil.
            Un acharnement vain
Je parlais plus haut de vingt-trois ans. La proposition de loi Boyer (2011-2012) n’avait effectivement pas grand-chose d’une nouveauté. Conçue fin 2005 et présentée formellement au printemps 2006, la proposition de loi Masse, visant à interdire la « contestation du génocide arménien », échoua d’abord à l’Assemblée nationale, en mai 2006, avant d’être adoptée en octobre de la même année, mais elle fut rejetée par le Sénat (motion d’irrecevabilité) le 4 mai 2011. Auparavant, les propositions déposées par le député François Rochebloine (2002-2003), puis par des députés socialistes (2004) et communistes (2005) avaient échoué à être seulement discutées — au point qu’on peut se demander si le but était vraiment l’adoption du texte, et non un spectacle électoraliste, sans portée concrète. Avant cela, en 1996, une proposition loi liberticide, ancêtre de tous ces textes précités, était sèchement rejetée par l’Assemblée nationale.
Et encore avant, en janvier 1994, le Comité de défense de la cause arménienne (CDCA) décidait de poursuivre le grand historien anglo-américain Bernard Lewis, au titre de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881, article créé par la loi du 13 juillet 1990, dite « loi Gayssot », et qui interdit de contester l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité jugés par le tribunal international de Nuremberg. La contorsion était manifeste : le CDCA fut débouté, et condamné pour procédure abusive. De même, deux procédures au civil, engagées par l’Alliance générale contre le racisme et le respect de l’identité française (Agrif) et l’Union médicale arménienne de France (UMAF), toutes deux proches du Front national à l’époque, échouèrent et finirent par une condamnation des parties civiles à payer une partie des frais de justice engagés par M. Lewis[1]. Hasard du calendrier, le défenseur de Bernard Lewis, Me Thierry Lévy, est décédé d’un cancer ce 30 janvier 2017.
Il est vrai qu’une autre procédure au civil, engagée par le Forum des associations arméniennes de France, s’est soldée par une condamnation de M. Lewis au franc symbolique — non, comme il est souvent dit, pour avoir rejeté la qualification de « génocide arménien », mais pour l’avoir présentée comme « la version arménienne de cette histoire ». Toutefois, et outre qu’on ne saura jamais ce qu’aurait dit la cour d’appel de Paris, puisque M. Lewis commit l’erreur de ne pas faire appel, la Cour de cassation a interdit, en 2005, d’utiliser l’article en question du code civil (qui portait jusque récemment le numéro 1382) pour restreindre la liberté d’expression, sauf dénigrement (le dénigrement étant aux activités économiques ce que la diffamation est aux personnes physiques et morales). Cette jurisprudence a été confirmée en 2011.
            La jurisprudence est confortée par la jurisprudence européenne. L’exemple le plus évident est l’affaire Perinçek c. Suisse. La 2e chambre de la Cour européenne des droits de l’homme a donné raison, en décembre 2013, au requérant Doğu Perinçek, contre la justice suisse, laquelle avait exploité l’article 261 bis du code pénal helvétique (conçu pour réprimer le négationnisme, le vrai, mais rédigé n’importe comment) pour condamner M. Perinçek. En effet, celui-ci avait déclaré, en Suisse, que le « génocide arménien » est un « mensonge international » :
            « 116. Par ailleurs, la Cour estime, avec le requérant, que le ‟génocide” est une notion de droit bien définie. […] La Cour n’est pas convaincue que le ‟consensus général” auquel se sont référés les tribunaux suisses pour justifier la condamnation du requérant puisse porter sur ces points de droit très spécifiques.
            117. En tout état de cause, il est même douteux qu’il puisse y avoir un ‟consensus général”, en particulier scientifique, sur des événements tels que ceux qui sont en cause ici, étant donné que la recherche historique est par définition controversée et discutable et ne se prête guère à des conclusions définitives ou à des vérités objectives et absolues (voir, dans ce sens, l’arrêt no 235/2007 du Tribunal constitutionnel espagnol, paragraphes 38-40 ci-dessus). À cet égard, la présente espèce se distingue clairement des affaires qui portaient sur la négation des crimes de l’Holocauste (voir, par exemple, l’affaire Robert Faurisson c. France, tranchée par le Comité des droits de l’homme des Nations Unies le 8 novembre 1996, Communication no 550/1993, doc. CCPR/C/58/D/550/1993 (1996)). Premièrement, les requérants dans ces affaires avaient non pas contesté la simple qualification juridique d’un crime, mais nié des faits historiques, parfois très concrets, par exemple l’existence des chambres à gaz. Deuxièmement, les condamnations pour les crimes commis par le régime nazi, dont ces personnes niaient l’existence, avaient une base juridique claire, à savoir l’article 6, alinéa c), du Statut du Tribunal militaire international (de Nuremberg), annexé à l’Accord de Londres du 8 août 1945 (paragraphe 19 ci-dessus). Troisièmement, les faits historiques remis en cause par les intéressés avaient été jugés clairement établis par une juridiction internationale. »
            Incapable de reconnaître ses torts, la Suisse a déposé un recours perdu d’avance devant la Grande chambre, laquelle a confirmé, en octobre 2015, que la liberté d’expression de M. Perinçek a bien été violée, et (§ 231) qu’« il a pris part à une polémique ancienne [sur 1915] dont la Cour a déjà reconnu, dans plusieurs affaires dirigées contre la Turquie, qu’elle touchait à une question d’intérêt public (paragraphes 221 et 223 ci-dessus) et qu’elle avait suscité de “vifs débats, non seulement en Turquie mais aussi dans la sphère internationale”. » On retrouve ainsi la notion de « débats historiques », utilisée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 26 janvier dernier.
            L’affaire Perinçek c. Suisse n’est cependant pas le seul exemple. Après avoir épuisé les recours internes devant la justice administrative, l’avocat marseillais Philippe Krikorian a déposé un recours devant la Cour de justice de l’Union européenne pour contraindre la France à transcrire dans son droit national la directive-cadre du 28 novembre 2008, alors, que de l’aveu même d’Alexandre Armen Couyoumdjian, président l’Association française des avocats et juristes arméniens, la France n’a aucune obligation de le faire, puisqu’elle interdit, depuis la loi Pleven de juillet 1972, l’incitation à la haine raciale, ethnique, nationale ou religieuse. De fait, la Cour de justice de l’Union européenne a sèchement rejeté la requête de Philippe Krikorianle 6 novembre 2014. Un autre du même Philippe Krikorian devant le Tribunal des conflits (France), toujours dans le même but, a échoué le 6 juillet 2015.
            Qui s’acharne ? La continuité avec le terrorisme des années 1970 et 1980
J’ai parlé de terrorisme au début : c’est parce qu’il n’y a pas d’autres mots. Philippe Krikorian, dont je n’ai cité qu’une partie des échecs (la liste intégrale, depuis 2002, serait interminable), est un personnage aussi folklorique que secondaire. Qui s’est acharné pour obtenir l’adoption des propositions de loi Masse et Boyer, puis pour l’amendement liberticide à la loi Égalité et citoyenneté (en vain dans le premier cas, avec un succès très temporaire pour les deux autres) ? Avant tout le Conseil de coordination des associations arméniennes de France (CCAF).
Commençons par Franck « Mourad » Papazian, coprésident du CCAF, sans qui l’article 173 de la loi Égalité et citoyenneté n’aurait pas existé. M. Papazian, qui a compris, dès 1997, que François Hollande serait au moins Premier ministre, voire président de la République, et qui a donc agi en conséquence, me fait penser à un joueur de casino qui, ayant misé toutes ses plaques et la plupart de ses jetons sur le quinze, verrait finalement sortir le seize, et crierait à la demi-victoire, car après tout, seize, c’est quinze moins un. Néanmoins, le personnage fait moins rire quand on se penche sur d’autres aspects de son activité politique, passée et présente. En décembre 1972, consacrant une évolution entamée depuis plusieurs la Fédération révolutionnaire arménienne (FRA), dont M. Papazian est membre depuis sa prime jeunesse, décida le retour [2] au terrorisme, et la création d’un groupe spécifiquement chargé des attentats, et directement subordonné à la direction mondiale du parti : les Commandos des justiciers du génocide arménien (CJGA), rebaptisés en 1983 Armée révolutionnaire arménienne (ARA), et responsables, par exemple, de l’assassinat de l’ambassadeur de Turquie à Paris et de son chauffeur, le 24 octobre 1975[3].
Et Mourad « Franck » Papazian dans tout cela ? Voici, par exemple, comment il commenta, dans le mensuel Haïastan de février 1982 (p. 14), sa participation à la campagne de soutien à Max Hraïr Kilndjian, membre des CJGA, jugé par la cour d’assises d’Aix-en-Provence pour tentative d’assassinat (et finalement condamné pour complicité) [4] :
« Pendant une demi-heure, des lamentations [sic] et des slogans : “Libérez Kilndjian.”
Lorsque les avocats de la défense [Patrick Devedjian et Henri Leclerc] ont pris la parole, toute manifestation s’est interrompue afin de ne pas gêner leur plaidoirie [contrairement, donc, à ce qui s’était passé durant la plaidoirie de l’avocat de la partie civile, Alain Vidal-Naquet [5]]. […]
À l’extérieur, nous étions tous conscients de la gravité du moment que nous vivions. Les jurés allaient délibérer. D’un coup, la foule a commencé à entonner des slogans. J’étais fou [sic], je n’avais jamais vécu cela. Deux heures de délibérations, deux heures de slogans incessants, seulement interrompus par des chants révolutionnaires.
Cette foule qui, pendant deux heures, a crié, a chanté, cette foule qui, pendant deux jours a soutenu Hraïr, cette foule consciente, concernée, passionnée, cette foule qui a su quand il fallait crier [sic], chanter ou garder le silence, a sûrement influencé la décision du jury. […]
Non Hr aïr ne devait plus rester en prison. C’en était assez, c’était même trop. Et puis cette foule, non pas excitée, mais convaincue, quelle allait être sa réaction [en cas de condamnation supérieure au temps passé en détention provisoire] ? Mieux vaut ne pas y penser. »
Ce qu’a décrit ainsi M. Papazian, cela s’appelle en bon français une menace d’émeute et de lynchage, contre une cour d’assises en activité. Effectivement, quand on est capable de se comporter ainsi avec la justice, il y a des chances pour qu’on méprise aussi la Constitution française.
Un autre exemple quant au fanatisme de Mourad « Franck » Papazian se trouve dans son soutien à Hampig Sassounian, arrêté en 1982 et condamné à perpétuité en 1984, pour l’assassinat du consul général de Turquie à Los Angeles, Kemal Arıkan :
« Et, bien évidemment, nous étions là pour marquer notre soutien indéfectible à Hampig Sassounian. […]
Pour la F.R.A. NOR SEROUND [le mouvement de jeunesse de la FRA en France], “le peuple arménien ne doit pas attende que la Turquie nous offre un jour nos terres : il doit les prendre.”
Comme pour Hraïr Kilndjian, la F.R.A. NOR SEROUND soutiendra Hampig Sassounian si ce dernier est condamné. […]
La lutte pour la libération du peuple arménien entreprise depuis 1975 par le COMMANDO DES JUSTICIERS DU GÉNOCIDE ARMÉNIEN est en marche, et RIEN ne pourra l’arrêter [6]. »
En droit français, cela s’appelle apologie du terrorisme (cinq ans de prison), voire incitation à s’armer contre l’autorité de l’État, suivie d’effet (trente ans de réclusion criminelle), puisque les attentats des CJGA/ARA ont effectivement continué, jusqu’en 1986 au moins — par exemple l’attentat-suicide du 27 juillet 1983, commis par cinq kamikazes appelés les « cinq de Lisbonne »[7].
Égarements de jeunesse, vieilles histoires que tout cela ? Nullement. Depuis, M. Papazian est devenu coprésident (puis président) de la FRA pour l’Europe occidentale, or ce parti a rendu hommage, en France, aux « cinq de Lisbonne », notamment en 2008 et 2013 [8], pour le vingt-cinquième et le trentième anniversaire de l’attentat-suicide.
L’autre coprésident du CCAF, l’autre personne qui a poussé pour cet amendement liberticide que le Conseil constitutionnel a censuré, c’est le cousin germain de M. Papazian, Jean-Marc « Ara » Toranian. Membre — et même agitateur — de la FRA dans sa prime jeunesse (1971-1972), M. Toranian et quelques-uns de ses amis ont fait scission en 1973, pour créer Libération arménienne. Ce groupe est devenu, vers 1976, la branche politique de l’ASALA en France [9], au point de prendre, en 1982, le nom de Mouvement national arménien (MNA) pour l’ASALA (sic)[10]. Le groupe servait aussi de couverture pour la logistique de l’ASALA en France, comme le prouvent trois affaires jugées :
—     Le 4 juillet 1985, à la suite d’une enquête déclenchée par l’explosion accidentelle d’une bombe, trois ans plus tôt, quatre membres du MNA sont condamnés pour détention illégale explosifs, au profit de l’ASALA [11] ;
—     En décembre 1984, cinq autres membres du MNA sont condamnés pour détention illégale d’armes et de matériel servant à la fabrication d’engins explosifs, association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, recel de faux papiers, c’est-à-dire pour avoir constitué, après les arrestations de 1982 et jusqu’à l’attentat d’Orly inclus, le nouveau réseau logistique de l’ASALA. Les avocats de la partie civile (Turkish Airlines) ont fait valoir au procès que « sans ce réseau, il n’y aurait pas eu l’attentat d’Orly [12] ».
—     Le 22 avril (!) 1985, toujours à la suite de l’information judiciaire sur l’attentat d’Orly, quatre membres du MNA, dont Jean-Marc « Ara » Toranian lui-même furent condamnés pour recel de malfaiteurs, en l’espèce Soner Nayir, qui avait lui-même été condamné à quinze ans de réclusion criminelle pour complicité dans l’attentat d’Orly. M. Toranian fut le seul à faire appel — obtenant d’ailleurs la relaxe, au bénéfice du doute [13].
Lors de la scission entre l’ASALA et l’ASALA-Mouvement révolutionnaire, à l’été 1983, le MNA de M. Toranian prit le parti des seconds [14], et à nouveau, ce groupe servit de couverture à des activités terroristes : le 28 novembre 1986, Monte Melkonian fut condamné à six ans de prison, dont quatre ans ferme (ainsi qu’à une interdiction définitive de territoire), et la membre du MNA qui l’avait hébergée fut condamnée, elle aussi, pour «association de malfaiteurs, détention d’armes, détention d’artifices et d’appareils destinés à l’emploi des explosifs, falsification de documents administratifs [15] ».
Comme pour son cousin Franck « Mourad » Papazian, il serait totalement illusoire de penser que Jean-Marc « Ara » Toranian ait changé depuis les années 1980. Outre que son site armenews.com et son mensuel Les Nouvelles d’Arménie magazine publient des hommages à des attentats et à leurs auteurs (par exemple dans le dossier consacré à Monte Melkonian dans le numéro de juin 2013), M. Toranian a osé déclarer, lors d’un discours à Paris, le 24 avril 2009, qu’il fallait « renouer avec l’esprit de la lutte des années 1975 et 80 » (textuel).
Cette déclaration particulièrement immonde est à rapprocher de Pascal Chamassian, président du CCAF Marseille, dans La Provence, après la décision du Conseil constitutionnel du 26 janvier : « Nous avons toujours [sic !] cherché à passer par la Loi et je ne connais pas la forme de nos prochains combats. » Je rappelle charitablement à M. Chamassian, au cas où l’affaire lui serait sortie de l’esprit, qu’il y aura un triple procès Gauin c. Toranian et Tilbian, le 17 octobre prochain, au tribunal de Paris (injure et diffamation), et que j’ai de nouveau déposé plainte pour diffamation, en septembre dernier et toujours à Paris, contre Jean-Marc « Ara » Toranian, ainsi que contre le député suisse Carlo Sommaruga (grand ami des nationalismes arménien et kurde) et Laurent Leylekian (ex-directeur de France-Arménie). Toute espèce de violence verbale, et à plus forte raison physique, se retournerait immanquablement, lors des procès, contre les prévenus, M. Toranian au premier chef, car elle prouverait que se faire diffamer et injurier par ce genre de personnes, c’est être désigné à la vindicte de gens violents.
Ce fanatisme qui a tenté de violer la Constitution française, après avoir justifié des attentats, doit être combattu par tous les moyens légaux.
Maxime Gauin – 02 Février 2017 - Mediapart

Notes :
[1] Bernard Lewis, Notes on a Century, Londres, Weidenfeld & Nicolson, 2012, pp. 288-290 et 292.
[2] Le terrorisme fut en effet pratiqué par la FRA de sa création, en 1890, aux années 1950 : cf., parmi bien d’autres références, Benjamin Alexander, “Contested Memories, Divided Diaspora: Armenian Americans, Thousand-Day Republic, & Polarized Response To Archbishop’s Murder”, Journal of American Ethnic History, XXVII-1, automne 2007, pp. 32-59 ; Gaston Auboyneau, La Journée du 26 août 1896 à la Banque impériale ottomane, Villeurbanne, Imprimerie Chaix, 1912 ; Maxime Gauin, « The Missed Occasion: Successes of the Hamidian Police Against the Armenian Revolutionaries, 1905-1908 »Review of Armenian Studies, n° 30, 2014, pp. 113-131 ;Kapriel Serope Papazian, Patriotism Perverted, Boston, Baikar Press, 1934, pp. 13-24 et 58-70 ; Anahide Ter Minassian, « Le mouvement révolutionnaire arménien, 1890-1903 », Cahiers du monde russe et soviétique, XIV-4, 1973, pp. 583-585, n. 51 et 605, n. 105 ; Khachig Tölöyan, « Terrorism in Modern Armenian Political Culture », Terrorism and Political Violence, IV-2, 1992, p. 19.
[3] Gaïdz Minassian, Guerre et terrorisme arméniens. 1972-1998, Paris, Presses universitaires de France, 2002, pp. 22-23, 28, 32-34, 37 et 87.
[4] Le compte-rendu sténographique du procès a été publié : Comité de soutien à Max Kilndjian, Les Arméniens en cour d’assises. Terroristes ou résistants ?, Roquevaire, Parenthèses, 1983.
[5] Ibid., p. 156 : « Mouvement de salle, brouhaha de protestation ».
[6] Mourad Papazian, « Coupable ou non, nous soutenons Hampig Sassounian », Haïastan, mai 1982, pp. 7-9 (citations pp. 8 et 9).
[7] Gaïdz Minassian, Guerre et terrorisme…, pp. 90-92.
[8] « Voici trente ans… Les cinq de Lisbonne », France-Arménie, juillet-août 2013, pp. 14-17.
[9] Gaïdz Minassian, Guerre et terrorisme…, pp. 46 et 65-66 ; du même auteur, Arméniens. Le temps de la délivrance, Paris, CNRS éditions, 2015, p. 322. Voir aussi Michael M. Gunter, “Pursuing the Just Cause of their People”. A Study of Contemporary Armenian Terrorism, Westport-New York-Londres, Greenwood Press, 1986, p. 35 ; et Markar Melkonian, My Brother’s Road, Londres-New York, I. B. Tauris, 2007, pp. 100 et 139-140.
[10] Ara Toranian, « Pourquoi le mouvement national arménien pour l’ASALA », Hay Baykar, 19 avril 1982.
[11] Hay Baykar, juillet-août 1985, p. 8.
[12] « Cinq complices dans l’attentat d’Orly sont condamnés à des peines de prison », Le Monde, 24 décembre 1984 ; « Procès des boucs émissaires de la répression anti-arménienne à Créteil », Hay Baykar, 12 janvier 1985, pp. 4-8. Voir aussi Xavier Raufer, « Terrorisme : Les réseaux transnationaux venus du Moyen-Orient.
Essai de rationalisation d'un prétendu “irrationnel” », Le Débat, n° 39, 1986/2, pp. 159-165.
[13] « Bobigny — La solidarité arménienne condamnée », Hay Baykar, 10 mai 1985, pp. 8-9.
[14] Gaïdz Minassian, Guerre et terrorisme…, p. 90. Voir aussi Markar Melkonian, My Brother’s Road…, p. 125, 137 et 267.
[15] « Monte Melkonian est condamné à six ans de prison dont deux avec sursis », Le Monde, 15 décembre 1986.

h-katchaznouni
Hovhannes Katchaznouni
(Premier Ministre d'Arménie)
LE PARTI DACHNAK N'A PLUS RIEN A FAIRE
(Le rapport à la Conférence du Parti en 1923)
Ce rapport historique présenté en 1923 à Bucarest est interdit en Arménie. Les éditions dans les langues étrangères ont disparu des bibliothèques européennes.

No comments:

Post a Comment