1. Politique étrangère - Entretien de M. Emmanuel Macron, Président de la République, avec "Le Point" - Extraits (Paris, 23/08/2023)
(...)
Q - Parlons un peu de l'Ukraine. On s'interroge beaucoup sur la manière dont le conflit pourrait se terminer. Pour certains, l'intégration du pays dans l'Union européenne pourrait être une compensation pour faire accepter un cessez-le-feu aux Ukrainiens avant l'élection américaine, même si une partie de son territoire est encore occupée...
R - D'abord, puisque vous parlez des Etats-Unis, on a eu la chance, en Ukraine, d'avoir une administration américaine qui nous a aidés. Pour autant, soulignons, si l'on additionne toute l'aide civile et militaire, que les Européens ont autant aidé budgétairement et financièrement que les Etats-Unis. Surtout si on prend en compte ce qui a été réellement livré ! Mais la question est la suivante : est-ce qu'on peut laisser l'Ukraine être défaite et la Russie l'emporter ? La réponse est non, on ne le peut pas. La Russie a provoqué le retour de la guerre territoriale, et nous devons défendre le droit international, la souveraineté des peuples, les frontières. Nous devons tenir dans la durée.
Mon souhait, c'est que la contre-offensive des Ukrainiens puisse ramener tout le monde autour de la table de négociation pour faire émerger une solution politique dans des conditions plus favorables. La bonne négociation sera celle que les Ukrainiens voudront ! C'est un peuple souverain. Aurions-nous aimé que des gens de l'extérieur nous expliquent ce qu'il fallait faire en Alsace-Lorraine ? L'Otan et l'Union européenne sont des éléments d'une négociation plus large. À terme, nous aurons à rebâtir une architecture géopolitique de l'Europe. C'est ce que je défendais quand je discutais avec Vladimir Poutine.
Q - Le lien est désormais rompu ?
R - Je lui reparlerai quand ce sera utile. Il a fait une rupture profonde en choisissant de ne plus respecter les accords internationaux, d'être du côté de l'impérialisme et du néocolonialisme, tout en étant membre permanent du Conseil de sécurité et puissance dotée de l'arme nucléaire, de nourrir le désordre du monde. C'est un choix profond.
Q - Que répondez-vous à Nicolas Sarkozy, qui considère que notre avenir était aussi avec la Russie et que ce serait une erreur d'intégrer l'Ukraine dans l'UE ?
R - Nous ne parlons pas du même endroit. Il est impossible aujourd'hui de parler de l'Ukraine sans tenir compte du contexte, qui est encore celui de la guerre. Pour autant, oui, il faudra vivre avec la Russie, car on ne changera pas la géographie. Mais c'est à la Russie de définir quel partenaire elle veut être. Or, là, elle n'est déjà plus celle de 2021. À ce titre, la responsabilité que Vladimir Poutine a prise est immense.
Q - Avec l'entrée de l'Ukraine, et le poids de la Pologne, l'équilibre européen bascule vers l'Est. C'est la revanche de Kundera, de son "Occident kidnappé" ? Et, en conséquence, est-ce une erreur de se focaliser sur l'axe franco-allemand ?
R - Je défends une vision de l'Europe non hégémonique. L'Europe, ce sont 27 capitales ! Je les ai d'ailleurs toutes visitées durant mon premier mandat. Une fois que l'on a dit cela, il y a plusieurs vocations de l'Europe. Il y a une Europe géopolitique, qui correspond à la Communauté politique européenne, que j'ai proposée en mai 2022 et qu'on a réunie deux fois. C'est l'idée de confédération de François Mitterrand et de Vaclav Havel, de l'Atlantique au Caucase. Il y a ensuite une Europe des marchés, qui forme un espace économique de production, d'échanges et de prospérité. Et, enfin, il faudra une Europe plus intégrée, qui accepte d'être plus audacieuse. On aurait tort d'avoir un format monolithique, de se limiter au choix entre intégration et élargissement.
Q - Vous avez parlé d'Europe élargie jusqu'au Caucase... En 2020, vous aviez dit que la reconquête du Haut-Karabakh par l'Azerbaïdjan était inadmissible. Cela fait huit mois que l'Azerbaïdjan impose un blocus à la région. L'ex-procureur de la CPI, Luis Moreno Ocampo, qualifie ce blocus de génocide par la famine. Que faites-vous ?
R - Notre diplomatie est claire mais le temps n'est pas à la diplomatie. Je le déplore et je le condamne. Nous avons toujours dit être là pour la souveraineté des peuples. La question du Haut-Karabakh est compliquée, y compris pour la légalité des peuples. Je ne peux pas suivre les propos les plus jusqu'au-boutistes sur ce sujet. La France a condamné la guerre de 2020 avec clarté et organisé plusieurs opérations humanitaires. Aujourd'hui, nous faisons tout pour qu'un accord permettant une paix durable et la sauvegarde des peuples et des cultures soit trouvé entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Ce traité de paix est une nécessité, mais il doit être conforme au droit international.
Q - Malgré le processus génocidaire constaté par des experts internationaux...
R - Je me garderais d'utiliser trop vite ce terme. Nous avons une situation humanitaire qui n'est pas acceptable, en particulier pour le corridor de Latchine. Le rôle de la France est de maintenir la pression sur les accès humanitaires, et nous maintenons tous nos efforts pour y parvenir. En particulier, nous continuons de prendre toutes les initiatives utiles pour que des vivres, des médicaments soient acheminés et qu'un accès libre soit maintenu vers le Haut-Karabakh. En plus de cela, l'Arménie est menacée sur ses propres frontières aujourd'hui.
Q - À propos de la situation au Niger : n'est-ce pas la fin d'une époque pour la France en Afrique ? Qu'avons-nous raté ?
R - Ce n'est pas la France qui fait un coup d'Etat au Niger ni qui élit un président nigérien. Et si vous voulez dire que le temps de la Françafrique est révolu, je vous le confirme. On ne va pas se flageller pour autant ! En ce qui concerne le Niger, nous sommes clairs : ce coup d'Etat est un coup contre la démocratie au Niger, contre le peuple nigérien et contre la lutte antiterroriste. C'est pourquoi nous appelons à la libération du président Bazoum et à la restauration de l'ordre constitutionnel.
Mais si l'on prend de la hauteur, la France a eu raison de s'engager aux côtés d'Etats africains pour lutter contre le terrorisme. C'est son honneur et sa responsabilité. Si nous ne nous étions pas engagés, avec les opérations Serval puis Barkhane, il n'y aurait sans doute plus de Mali, plus de Burkina Faso, je ne suis même pas sûr qu'il y aurait encore le Niger. Ces interventions françaises, à la demande des Etats africains, ont été des succès. Elles ont empêché la création de califats à quelques milliers de kilomètres de nos frontières. Il y a, certes, une crise politique dans beaucoup de pays d'Afrique de l'Ouest. Mais quand il y a un coup d'Etat et que la priorité des nouveaux régimes n'est pas de lutter contre le terrorisme, la France n'a pas vocation à rester engagée. C'est, il est vrai, dramatique pour les Etats concernés. (...)./.
(Source : Le Point.fr)
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