Wednesday, November 23, 2022

Daniel Treisman : "Un effondrement du régime de Poutine semble plus probable qu'un coup d'Etat"

 Daniel Treisman : "Un effondrement du régime de Poutine semble plus probable qu'un coup d'Etat" 

Le professeur à UCLA, co-auteur de "Spin Dictators", analyse les forces comme les faiblesses du régime russe, et évoque différents scénarios possibles pour l'avenir de Poutine.

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Le président russe Vladimir Poutine, suivi par son ministre de la Défense Sergei Choïgou, le 31 juillet 2022 à Saint-Pétersbourg.

Olga MALTSEVA / AFP


Propos recueillis par Thomas Mahler

Publié le 22/11/2022 à 21:00, mis à jour le 23/11/2022 à 09:17

Professeur de sciences politiques à UCLA, Daniel Treisman est l'auteur, avec l'économiste Sergueï Guriev, de Spin Dictators. The Changing Face of Tyranny in the 21st Century (Princeton University), paru cette année en anglais. Un livre remarquable pour comprendre comment les dictateurs du XXIe siècle sont passés maîtres dans l'art de la communication et de la manipulation, se donnant des airs de démocrates. Vladimir Poutine fut longtemps l'archétype du "spin dictator", avant que son régime ne se brutalise de plus en plus, jusqu'à cette guerre en Ukraine.  

Dans un récent article très commenté pour la prestigieuse revue Foreign Affairs ("What could bring Putin down ?"), Daniel Treisman a également évoqué l'hypothèse d'une chute du président russe, envisageant plus un effondrement progressif avec une succession de crises qu'un coup d'Etat soudain. Pour L'Express, le chercheur analyse l'avenir du régime de Poutine et explique ses forces et faiblesses structurelles, face à une société russe de plus en plus moderne. 

L'Express : Dans "Spin Dictators", vous présentez Vladimir Poutine comme le modèle d'un nouveau type de dirigeants autoritaires, qui savent jouer habilement de la communication en prétendant être des démocrates. A-t-il perdu son savoir-faire ?  

Daniel Treisman: Même avant la guerre en Ukraine, Poutine semblait évoluer vers une dictature de la peur. Depuis le début du conflit, il a très clairement rejoint cette catégorie, réprimant les médias libéraux qui restaient en Russie et cherchant de manière manifeste à intimider sa population, avec une loi qui prévoit jusqu'à quinze ans de prison pour ceux qui critiquent cette "opération spéciale". Poutine a, de manière irrévocable, opté pour la peur. Dieu merci, il n'a toujours pas emprisonné des centaines de milliers de personnes ou commandité des meurtres politiques de masse, ce qui était la marque de fabrique des dictateurs du XXe siècle. Mais il a décidé que les techniques de communication ne suffisaient plus, et qu'il fallait des méthodes plus répressives afin de conserver son pouvoir. 

Selon vous, c'est paradoxalement la modernisation de la société russe qui l'a poussé à devenir plus autoritaire et répressif... 

La modernisation des sociétés est un défi pour les régimes autoritaires traditionnels. Avec une population plus sophistiquée, éduquée et connectée sur le plan international, faire appel aux vieilles méthodes d'intimidation a un coût économique important. Il est difficile de stimuler une économie de la connaissance à travers la peur. Des dictateurs ont ainsi adopté une stratégie plus fine, comme l'a fait Poutine en Russie durant des années, ou comme le fait par exemple toujours un Viktor Orban en Hongrie. Les "spin dictators" tentent de faire croire que leur pays a tout d'une démocratie, que les élections sont compétitives, que les médias restent relativement indépendants. Ils camouflent ou n'assument pas les violences politiques.  


L'Express - 23 Kasım 2022




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