Friday, April 1, 2022

-Entretien de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, avec "France 24" et "RFI" (Paris, 30/03/2022)

  Politique étrangère - Ukraine - Russie - Iran - Sahel - Mali - Niger - Entretien de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, avec "France 24" et "RFI" (Paris, 30/03/2022)

Q - Bonjour Monsieur le ministre.

R - Bonjour.

Q - Merci d'accueillir France 24 et RFI au Quai d'Orsay donc au ministère de l'Europe et des affaires étrangères.

R - Bonjour.

Q - Monsieur le ministre, bonjour.

Q - Alors, en Ukraine, les Russes ont annoncé hier qu'ils allaient réduire radicalement leur activité militaire autour de Kiev et de Tchernihiv. Dans le même temps, il y a les négociations qui se passent en Turquie et qui semblent avancer. Alors il y a quelques mois, Monsieur le ministre, vous disiez que le pire était devant nous. Est-ce qu'aujourd'hui, vous êtes plus optimiste, est-ce que vous voyez une éclaircie ?

R - Non.

Q - Non.

R - Dans la mesure où, pour l'instant, la guerre continue. Je lis des propos, je lis des déclarations, je ne vois pas d'actes. Il n'y a à ma connaissance aucune mesure de retrait qui ait été prise à l'égard de l'occupation par les forces armées russes en Ukraine. La guerre continue à Kiev, il y a eu des bombardements cette nuit. La guerre continue à Dnipro, la guerre continue à Kharkiv, la guerre continue à Marioupol qui devient une ville martyre où le siège de Marioupol décidé par le Président Poutine aboutit à ce qu'il y ait près de 200.000 personnes qui sont pris en otages. La guerre continue ; et pour l'instant, il n'y a, à ma connaissance, ni percée, ni nouveauté. Vous faites référence à des déclarations, il y a eu beaucoup de déclarations de la part des autorités russes de manière très variable et pour l'instant, nous...

Q - Vous n'y croyez plus, vous n'y croyez pas...

R - Je ne croirai que les actes. Et si demain matin, le Président Poutine dit : "comme signe de ma volonté de réarticulation, de réorganisation, je renonce au siège de Marioupol et je permets à l'aide humanitaire de rentrer dans Marioupol, je permets à la population civile de Marioupol de circuler librement", alors là, je dirai : ah oui ! Il y a un progrès. Et là je dirai : oui, peut-être que le pire n'est pas devant nous. Mais aujourd'hui, je n'ai pas d'actes.

Q - Vous dites comme Antony Blinken, le secrétaire d'Etat américain, il y a ce que la Russie dit et ce qu'elle fait. Donc, vous n'avez pas confiance en vérité en Vladimir Poutine ?

R - La confiance, ce sont les actes. Ça a toujours été les actes, la confiance. Et donc, pour l'instant, ils ne sont pas au rendez-vous.

Q - Est-il naïf de croire à un cessez-le-feu ?

R - Il faut un cessez-le-feu, mais le cessez-le-feu, il ne se décrète pas, il répond à une décision politique du Président Poutine de dire "OK, on arrête et on négocie". Pour l'instant, ce n'est pas le cas. Et vous me parlez de négociations, c'est vrai qu'il y a eu un évènementiel autour des négociations d'Istanbul mais les discussions, elles ont commencé déjà depuis trois semaines, elles se faisaient en Biélorussie, à Gomel, elles se sont faites à Antalya en partie, mais sur les mêmes sujets, avec moins de côté spectaculaire, mais pour l'instant, rien n'a avancé sur aucun sujet. Donc, voilà quelle est la réalité. Donc, il ne faut pas se faire illusionner par du déclaratif ; il faut des actes. Et si la Russie veut vraiment qu'on croie en elle, qu'elle mette des actes sur la table et, concrètement, qu'elle manifeste cette nouvelle orientation, s'il y en a une.

Q - Mais est-ce que les Russes ne vont tout de même pas desserrer l'étau autour de Kiev, peut-être pour redéployer plus à l'Est de l'Ukraine, dans le Donbass, et donc déshabiller le Nord pour habiller l'Est ?

R - Eh bien, on verra. Pour l'instant, ce ne sont que des annonces. Je constate que Kiev a été bombardée cette nuit.

Q - Vous ne craignez pas une concentration de troupes russes sur le Donbass ?

R - Il est possible que, vu les difficultés qu'a l'armée russe en Ukraine, des plans soient réévalués ; mais il est possible aussi que cette période où on annonce des discussions plus approfondies soit une période qui soit mise à profit par la Russie pour reconstituer ses forces, parce que, vous savez, la stratégie de guerre des sièges, qui est cette stratégie qui est mise en oeuvre aujourd'hui par la Russie, le siège de Kharkiv, le siège de Marioupol en particulier...

Q - Ce que vous aviez prédit d'ailleurs...

R - Oui, je l'avais annoncée, la guerre des sièges...

Q - Vous aviez dit "C'est une guerre de sièges"...

R - Et les guerres de sièges sont terribles. On a une histoire des guerres des sièges. L'histoire, c'est à la fois Grozny, et puis Alep, où on a vu... Je pense à Alep parce que j'étais en responsabilité à ce moment-là, où on a vu la Russie dire "Eh bien, on va négocier". Et puis en fait, la réalité, c'était pour reconstituer des forces. Donc, on va voir. On va voir si le discours qui est tenu va se manifester dans des actions concrètes et donc, soit dans des retraits, soit dans l'annonce d'un cessez-le-feu. Ce qu'il faudrait aujourd'hui, c'est l'annonce d'un cessez-le-feu à Marioupol pour éviter le carnage, parce que ce qui se passe à Marioupol est effroyable. Et donc, la responsabilité de ce qui va se passer à Marioupol, c'est la responsabilité de la Russie.

Q - On parlait des négociations et on a abordé le sujet militaire et le sujet diplomatique. Alors, pour la première fois, enfin vous le disiez, depuis trois semaines, les négociations ont avancé. Les Ukrainiens renonceraient à intégrer l'OTAN et accepteraient un statut de neutralité, mais à condition que des grands pays, comme la France, garantissent leur sécurité. Alors, concrètement, Monsieur le ministre, ça veut dire quoi, être garant ? Parce que, pardonnez-moi, mais ça ressemble furieusement à l'article 5 de l'OTAN, du traité de l'OTAN qui dit "une attaque contre un, c'est une attaque contre tous".

R - Vous avez dit "les négociations ont avancé", elles n'ont pas avancé, elles sont stables. Mais les sujets...

Q - Non, en tout cas, au niveau de communication, on voit les images.

R - Non, non, mais je remets les choses au point. Les négociations, ce sont les mêmes sujets qui sont abordés régulièrement par les délégations russes et les délégations ukrainiennes, depuis trois semaines, avec une avancée, un acte politique lourd qui a été posé par le Président Zelensky, qui consiste à dire "moi, je suis d'accord pour qu'on travaille sur un concept de neutralité de l'Ukraine. Mais je dis en même temps, au-delà de la neutralité, dont il faut définir le contenu - pour l'instant, ce n'est pas le cas -, il me faut des garanties de sécurité", ce qui est normal. Donc, posons, réfléchissons aux garanties de sécurité. Mais pour l'instant, il n'y a pas d'acceptation, ni du premier principe, ni du second.

Q - Oui, mais il faudrait peut-être réfléchir déjà à ce que ça veut dire être garant de l'Ukraine.

R - Nous sommes tout à fait disponibles pour travailler avec le Président Zelensky, il le sait, sur la manière d'assurer des garanties. Mais le problème, c'est qu'il faut qu'il y ait une vraie négociation. Et il serait peut-être opportun aussi que le Président Zelensky rencontre le Président Poutine, ne serait-ce que cela. Pour l'instant, ce n'est pas possible, puisque le Président Poutine le refuse.

Q - Et ces garanties de sécurité, le Président Zelensky ne les demanderait pas pour la Crimée, pour le Donbass, est-ce à dire, eh bien, que peut-être dans l'avenir, un rattachement de ces deux régions à la Russie serait envisageable et pourrait peut-être permettre de régler les affaires ?

R - Moi, je ne vais pas négocier à la place des Ukrainiens. C'est aux Ukrainiens de négocier avec la Russie. On connaît les sujets de négociation : neutralité, garanties, niveau de démilitarisation de l'Ukraine, territoire, quel statut sur le Donbass ? Et la question de la Crimée, avec, en plus de ça, la nécessité d'un cessez-le-feu, à quel moment ? Et la nécessité aussi d'un agenda de retrait progressif des forces russes. C'est tout ça, le paquet de négociations, mais cela fait trois semaines que c'est tout ça. Et pour l'instant, à part le Président Zelensky, la seule initiative forte qui a été prise, c'est celle par laquelle il a annoncé sa volonté de faire en sorte que l'Ukraine devienne un pays neutre.

Q - Mais n'est-il pas naïf, Monsieur le ministre, de parler de neutralité quand on est entouré par la Russie, que vos voisins sont les Russes ?

R - D'où la nécessité de garanties, et d'où la nécessité de négocier. Et on ne négocie pas avec un revolver sur la tempe, donc, d'où la nécessité d'un cessez-le-feu. Et d'autre part, vous voyez bien que s'il y a une modification de la Constitution ukrainienne, parce que pour dire neutralité, il faut un référendum, peut-on faire un référendum en Ukraine, alors que les forces russes sont présentes sur le territoire ? Non. Donc, il faut négocier. Tout cela, pour l'instant n'a pas commencé. Nous souhaitons que ça avance.

Q - Ça va être très long.

R - D'où la nécessité d'un cessez-le-feu. Ça va être long, mais on commence à voir quels pourraient être des paramètres. En tout cas, le Président ukrainien a déjà quelques idées sur le sujet, encore faut-il parler, et aussi parler avec le Président Poutine. D'où la nécessité d'ailleurs de faire en sorte qu'il y ait en permanence un lien qui soit maintenu avec le Président Poutine. C'est la raison pour laquelle le Président Macron l'a souvent au téléphone, pour garder un vecteur de dialogue, pour garder un canal, pour faire en sorte que, le moment venu, on puisse se parler de manière approfondie. J'espère que ce moment arrivera vite et qu'on va éviter le carnage de Marioupol.

Q - Il se heurte à quoi, le Président Macron, quand il a le Président Poutine au téléphone ?

R - Les points de vue sont généralement dits clairement, généralement avec beaucoup de clarté, de part et d'autre. Ils se reparlent. Ça avance peu, mais au moins il y a un canal de discussion qui est potentiel. Et le Président Macron parle aussi avec le Président Poutine parfois avec le Chancelier allemand. Donc, il faut que le Président Poutine se rende bien compte qu'il a dans cette discussion deux partenaires qui sont prêts à encourager le dialogue, mais qui sont aussi fermes sur la souveraineté de l'Ukraine, et qui refusent le fait qu'un Etat agresse un autre Etat comme ça se passe là maintenant avec toutes les douleurs, toutes les souffrances que cela impose au peuple ukrainien.

Q - Alors, vous le disiez, les Turcs sont peut-être une bonne nouvelle dans ce magma terrible. Les Turcs sont au centre de la médiation et Emmanuel Macron et Erdogan se sont parlé récemment, est-ce que la brouille entre la Turquie et la France est finie ?

R - Quand il s'agit de sauver des vies, de permettre la paix, d'enrayer le processus dramatique devant lequel nous sommes, on ne compte pas les histoires, on essaie de faire avancer les choses, et toutes les bonnes volontés sont bienvenues.

Q - Le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, déclare qu'un recours des Russes aux armes chimiques est encore possible et que cela aurait des conséquences massives. Est-ce que vous confirmez ? C'est une crainte que vous avez ?

R - Si la Russie utilise des armes non conventionnelles de ce type, il faut qu'ils s'attendent à des sanctions massives très fortes. Ils le savent, on le leur a déjà dit. Donc, il faut qu'ils prennent en considération ces risques.

Q - Mais on a vu en 2013, quand des armes chimiques ont été utilisées en Syrie, tout le monde, les Américains ont regardé ailleurs, est-ce que vous ne craignez pas que la même chose se reproduise ?

R - Je pense que le Président Poutine s'est rendu compte d'une chose : c'est l'unité et la fermeté et de l'Union européenne, -de l'ensemble des pays -, et de la relation transatlantique ; la solidité de l'Alliance, et aussi la volonté de l'ensemble de ces pays d'aider l'Ukraine très fermement, à la fois par des sanctions, à la fois par du soutien financier, mais aussi par la livraison d'équipements militaires. Il sait cela, donc c'est à lui d'apprécier les risques ; mais c'est de sa responsabilité, pas de la nôtre.

Q - Livraison d'équipements militaires, y compris par la France.

R - Oui, y compris par la France, oui. Nous fournissons des équipements militaires défensifs mais létaux à l'Ukraine, nous, et puis tous les pays européens quasiment.

Q - Des équipements létaux.

R - Oui, bien sûr.

Q - Et si des armes chimiques sont utilisées, qu'est-ce qu'il faut faire ? Il faut intensifier les sanctions, comme dit Boris Johnson ?

R - Oui, je ne vous donnerai pas la réponse.

Q - Mais, oui ?

R - J'ai dit "sanctions lourdes et massives", je ne vais pas vous les décrire.

Q - Sur le drame de Marioupol, impossible de convaincre Vladimir Poutine de faire ce couloir humanitaire. Même sur ça, il ne veut pas plier ?

R - Le concept de couloir humanitaire à la mode russe est un concept particulier qui s'intègre dans la logique de la guerre des sièges. On en a fait l'expérience à Grozny, on en a fait l'expérience à Alep, on est en train de craindre cette expérience, là aussi, à Marioupol, c'est-à-dire je vous laisse un couloir humanitaire ; ceux qui passent dans le couloir humanitaire, vous allez venir en Russie, et ceux qui ne partent pas, vous êtes considérés comme ou des terroristes ou des nazis, puisque le terme a été utilisé. Et donc, c'est un prétexte supplémentaire de renforcer les bombardements. C'est ça, la logique militaire du couloir humanitaire à la mode russe. Nous, ce que nous voulons sur Marioupol, c'est un cessez-le-feu, une levée du siège et un acheminement libre de l'aide humanitaire et une libre circulation des populations à Marioupol. C'est le sujet du moment, et il ne faudrait pas être abusé par des déclaratifs russes, alors que la réalité, c'est le drame de Marioupol en ce moment.

Q - Est-il envisageable qu'Emmanuel Macron se déplace soit à Kiev, soit à Moscou ?

R - Ecoutez, on a déjà montré, avec beaucoup de force, que les initiatives de paix étaient prises quand il le fallait avec les risques qu'il fallait prendre. Il l'a montré, en se rendant à Moscou. Dans l'état actuel des choses, la question ne se pose pas. Elle peut se poser, mais pour l'instant ce n'est pas d'actualité.

Q - Depuis le début de la guerre, l'Union européenne fait bloc mais l'Allemagne est beaucoup plus dépendante du gaz russe que la France, est-ce que cette belle unité ne risque pas de se fracturer sur la question des sanctions et de l'embargo ?

R - La grande nouveauté, c'est que l'Europe d'aujourd'hui n'est plus la même que celle qui fonctionnait avant le 24 février. La grande nouveauté, c'est qu'il y a eu un Conseil européen exceptionnel à Versailles, qui a entériné ce que l'on appelle l'agenda de Versailles, dans lequel les Européens ont décidé ensemble d'acquérir l'autonomie énergétique dans les plus brefs délais, avec des étapes, mais dans les plus brefs délais, ce qui suppose d'ailleurs aussi d'assurer le renforcement de la transition énergétique adaptée à la lutte contre le changement climatique, pour ne plus dépendre des énergies fossiles russes. Et ce mouvement-là, il va être mis en oeuvre, dès cette année. Il se poursuivra pour avoir des réponses pérennes et ça concerne tous les pays, y compris l'Allemagne qui a soutenu cette logique.

Q - Alors, il faut chercher d'autres partenaires. C'est pour ça, c'est la première partie de ma question, vous étiez à Doha, au Qatar, où vous avez annoncé que nous étions tous près, proches d'un accord sur le nucléaire iranien. Quand vous dites proches, vous comptez en jours, en mois, en semaines ? Qu'est-ce qui bloque encore entre Téhéran et Washington ?

R - La grande avancée, concernant le nucléaire iranien, c'est que nous sommes sur les bases d'un accord concernant les Accords de Vienne, c'est-à-dire ce que l'on appelle, en termes techniques, le JCPoA. Ça veut dire que l'Iran est prêt à renoncer à l'accession à l'arme nucléaire et que les sanctions qui étaient liées à la course en avant de l'Iran pour acquérir l'arme nucléaire vont tomber. Nous sommes d'accord sur le contenu. Quand je dis "nous", c'est tout le monde, c'est-à-dire à la fois les Européens, à la fois l'Iran, à la fois la Russie, à la fois la Chine et à la fois les Etats-Unis qui ne sont plus partie prenante, mais qui ont donné leur accord. Donc, la signature est imminente, et ce serait une très bonne chose que l'on n'ajoute pas une crise de la prolifération nucléaire à la guerre qui existe aujourd'hui en Ukraine. Il reste un blocage qui n'est pas lié à cet accord, qui est indépendant, qui est lié à la relation entre les Etats-Unis et l'Iran, sur d'autres sujets, sur un autre sujet en particulier. J'espère qu'on pourra aboutir à régler cette affaire, parce qu'à ce moment-là, on signe, tout de suite.

Q - Est-ce qu'il y a un risque de famine dans certains pays du Sud avec la perturbation très grave du marché des céréales et que peut faire la France ? Est-ce qu'il y a des stocks et que peut faire la France pour empêcher la famine ?

R - Il y a un risque réel de pénurie alimentaire, en particulier dans les céréales, à la fois le blé, le maïs, le tournesol, parce que l'Ukraine est un grand producteur, et que c'est difficile aujourd'hui de cultiver en Ukraine. Et le risque aussi est dû au fait que la logistique, les transports sont maintenant très difficiles, à la fois pour l'Ukraine, mais aussi pour la Russie. Et donc, il ne faudrait pas, là aussi, se faire abuser par un discours qui est développé aujourd'hui par les Russes selon lequel, s'il y a demain des risques de famine, c'est dû aux sanctions. Ce n'est pas dû aux sanctions, c'est dû à l'occupation par les Russes de l'Ukraine. Et on ne cultive pas des étendues de terre en présence de forces militaires, ce n'est pas possible.

D'où des craintes majeures sur la sécurité alimentaire d'un certain nombre de pays. Je pense aux pays du Moyen-Orient, de l'Afrique en particulier ; et d'où l'initiative qu'a prise le Président de la République lors de la réunion du G7 à Bruxelles, la semaine dernière, qui s'appelle l'opération FARM, qui consiste à prendre des actions, des initiatives, dans trois domaines différents : d'abord, dans le domaine de la commercialisation pour qu'il y ait plus de transparence, plus de fluidité sur les marchés, éviter le stockage, éviter la spéculation sur les céréales ; un dispositif de solidarité pour faire en sorte que les pays les plus en difficulté puissent être soutenus par des livraisons et en particulier par le biais du...

Q - Mais pour ça, il faut stocker ce qui restait de stocks, c'est ça la question aussi ?...

R - Et que l'on permette au Programme alimentaire mondial de faire son travail et de ne pas être soumis à la spéculation et au stockage pour pouvoir distribuer ; et puis aussi, pour produire davantage et tous les pays sont incités à le faire. Ce triptyque-là, il est majeur, il est initié par la France, mais il est repris aujourd'hui par l'Union européenne pour que l'on puisse être totalement solidaires et éviter ces risques qui ne sont pas pour demain matin, mais qui sont malheureusement pour après-demain.

Q - Oui, alors, Monsieur le ministre, nous allons parler du Mali. Les militaires de Barkhane plient bagage après neuf ans de présence. 58 soldats français ont perdu la vie. Les djihadistes sont toujours là, ils ont même gagné du terrain, est-ce que vous diriez, est-ce que vous avez un sentiment d'amertume, - vous qui avez vécu de Serval à Barkhane -, un sentiment tout de même de gâchis et une forme d'impuissance ?

R - Le gâchis, il est politique, parce qu'on rappelle souvent l'initiative de Serval, à ce moment-là, puis de Barkhane, pour empêcher les actions terroristes de groupes qui sont organisés. Il faut quand même rappeler aux téléspectateurs et aux auditeurs que les groupes terroristes, ce sont à la fois Daech et Al-Qaïda. Ce ne sont pas des groupes informels, ce sont des groupes qui ont des résonances, des organisations, qui sont habitués au type de combat qu'ils mènent, et nous avons bien fait d'agir, à ce moment-là, pour protéger le Mali. Nous avons bien fait, parce que l'enjeu, c'est la souveraineté et l'intégrité, c'était et c'est toujours la souveraineté et l'intégrité du Mali.

Et moi, la date à laquelle je fais référence le plus, c'est 2015, les Accords d'Alger, parce qu'il y a une base, il y a une solution. Il y a eu des négociations, il y a eu des discussions qui ont abouti à ces Accords que les responsables maliens, pour des tas de raisons, n'ont pas voulu mettre en oeuvre. Ces Accords d'Alger, ils reposent à la fois sur la décentralisation, sur le désarmement des groupes armés signataires, leur inclusion dans les forces armées ou les forces de police maliennes et sur le développement, les 3D : décentralisation, désarmement et développement.

Et le début du commencement a été à peine visible. Or, il y a ce texte qui est garanti par, d'abord les autorités algériennes qui sont garantes de cet Accord. On parlait tout à l'heure de garanties, eh bien, les autorités algériennes ont la responsabilité, et elles l'assument, de mettre en oeuvre ces Accords ; mais pour l'instant, il n'y a pas de réponse du côté du Mali. Et puis, ces Accords d'Alger ont permis aussi la présence des forces des Nations unies sur le territoire malien pour assurer leur mise en oeuvre. Ce texte est sur la table, prenons-le.

Q - Depuis deux mois, Monsieur le Ministre, les militaires maliens, les miliciens présumés du groupe russe Wagner sont rendus responsables par les Nations unies et Human Rights Watch de graves exactions dans le centre du Mali, est-ce que vous confirmez ou pas ces informations ?

R - Tous les éléments que nous avons, y compris les ONG qui ont enquêté sur le sujet, y compris les Nations unies, montrent que finalement, la présence de Wagner au Mali, c'est quoi ? Ce sont des exactions et la limitation des libertés publiques, vous en savez quelque chose. C'est ça, Wagner.

Q - Vous faites allusion à la suspension des émissions de RFI et France 24.

R - Oui, bien sûr. C'est un nouvel autoritarisme qui fait que la junte au pouvoir est prise un peu en otage aussi sur ces points-là par la force Wagner. Donc Wagner qui était réputé devoir être une force de libération, c'est une force d'exactions et de prédation. Et en plus, ils se servent sur les ressources propres du Mali. C'est pour ça que c'est très grave.

Q - Le temps est compté. Il y a deux mois, l'ambassadeur de France à Bamako a été expulsé par les autorités maliennes qui l'accusaient de comploter contre elles. Est-ce que tout dialogue avec Bamako est rompu, ou est-ce qu'Emmanuel Macron parle avec le chef de la junte malienne, le Colonel Assimi Goïta ?

R - Mais ce gouvernement n'a aucune légitimité. C'est un gouvernement issu d'un coup d'Etat, et c'est un gouvernement qui, pour l'instant, ne met pas en place les formes de reconnaissance légitime qu'il pourrait avoir du peuple malien. Nous travaillons, nous, avec la CEDEAO qui organise l'ensemble des Etats de la région pour lutter contre le terrorisme, parce que ce qui va se passer, c'est une réarticulation complète du dispositif français et du dispositif européen et que la décision de réarticulation, de repositionnement, de réorganisation a été prise par les Européens et par les Africains ensemble, au mois de février dernier, pour organiser différemment - c'est vraiment une refonte - et pour donner aussi une plus grande amplitude à notre action commune, en soutien aux différentes autorités des pays concernés par la menace terroriste, non seulement les pays du Sahel, mais désormais aussi les pays du golfe de Guinée puisqu'on voit des percées, une porosité de l'action des groupes terroristes dans le Nord de ces pays.

Q - Alors, la France va se redéployer au Niger. On a vu une violente manifestation antifrançaise à Téra, en novembre dernier, au passage d'un convoi militaire de Barkhane. Trois morts chez les manifestants. Est-ce qu'au Niger, on ne risque pas de se heurter au même problème qu'au Mali, c'est-à-dire un sentiment antifrançais ?

R - Non, ce n'est pas du tout comme ça que ça va se passer.

Q - D'accord.

R - La France ne va pas se redéployer au Niger. Ce que je viens de dire, c'est que nous nous réorganisons ensemble - quand je dis "nous", ce sont les Européens et les Africains - pour faire en sorte que les quatre piliers de ce qu'on appelle les Accords de Ndjamena, c'est-à-dire à la fois la lutte contre le terrorisme, la formation des forces militaires des pays concernés, le retour de l'Etat dans les zones qui sont reconquises et le développement, - je vais à Madrid, lundi prochain, pour assister à la troisième réunion de l'Alliance pour le Sahel pour mobiliser les fonds pour ces pays-, nous allons nous réorganiser en fonction des besoins et des demandes de chacun des Etats concernés, que ce soit au Sahel ou les Etats du golfe de Guinée, avec des réponses variables, selon les différents pays, et solidairement les Européens et les Africains. Donc, ce n'est pas "la France se réinstalle au Niger", ce n'est pas ça. Au Niger, il y aura une demande.

Q - Oui, il y aura une présence française, c'est ce que vous dites...

R - Mais européenne. Je peux le dire trois fois.

Q - Merci, Monsieur le ministre, de nous avoir accordé cet entretien et merci à vous de nous avoir suivis sur nos deux chaînes, France 24 et Radio France internationale.

Q - Merci beaucoup.

R - Merci./.

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