Union européenne - Conseil européen - Conférence de presse de M. Emmanuel Macron, Président de la République, à l'issue du Conseil européen - Propos liminaire de M. Emmanuel Macron (Bruxelles, 25/06/2021)
=Seul le prononcé fait foi=
Bonjour Mesdames, Messieurs, bonjour à tous.
Notre Conseil européen se tenait dans un contexte international chargé, puisque ces dernières semaines ont été marquées par le G7, un sommet de l'OTAN, qui ont permis quand même de poser pour les Européens présents les bases de notre stratégie, de notre positionnement, d'un réengagement transatlantique et de l'autonomie stratégique européenne. Et quelques jours avant le Forum Génération Egalité que nous organisons à Paris en coprésidence avec le Mexique et ONU Femmes. Et je pense que ce sommet, dans quelques jours à Paris, sera l'occasion là aussi de poursuivre des engagements importants pour nos valeurs et des engagements que je qualifierais de civilisationnels. Ce sommet se tient aussi dans un contexte qui est celui d'une évolution positive de l'épidémie sur le continent, mais qui appelle à la plus grande vigilance ; d'une avancée de nos plans de relance ; et évidemment, de beaucoup de sujets géopolitiques qui étaient à structurer.
C'est pourquoi, dans un premier temps, nous avons concentré nos travaux sur les sujets internationaux. D'abord par un échange avec le Secrétaire général des Nations unies, dès hier midi, puis l'évocation de plusieurs sujets de voisinage que nous avions à évoquer. Les flux migratoires, tout d'abord, en particulier en Méditerranée, nous avons une discussion sur la manière d'éviter les drames que nous connaissons à l'arrivée de l'été, avec des tentatives de traversée particulièrement dangereuses. C'est d'abord et avant tout un devoir moral, humanitaire des Européens ; c'est aussi la protection de nos frontières externes. Et donc nous avons acté une coopération avec nos partenaires du sud pour lutter plus efficacement contre les trafiquants et passeurs, pour sauver des vies humaines, en particulier en réengageant les programmes de formation des gardes côtes libyens, et avancer sur ces sujets.
Nous avons eu ensuite une discussion sur la Turquie. Je crois que nos conclusions sont claires, elles n'ont pas souffert de longs débats et elles sont la suite de notre échange de mars dernier. Vous vous souvenez, nous avions défini les jalons pour qu'Ankara sorte de l'attitude d'escalade dans laquelle elle était entrée en fin d'année dernière, et prendre le chemin d'un engagement constructif avec l'Union. Ce dialogue de franchise et de fermeté a payé, puisque les tensions ont diminué et une partie des demandes que nous avions formulées ont été suivies d'effets. Nous avons donc encouragé la Turquie à poursuivre ses efforts, en particulier en se montrant constructive dans le traitement des différents conflits régionaux et en s'engageant pour trouver une solution aux discussions inter-chypriotes qui soit conforme au cadre fixé par les Nations unies, et je le rappelle aussi, aux conditions même en vertu desquelles Chypre a rejoint l'Union européenne. Là-dessus, je considère que les dernières semaines ont été utiles, que cet apaisement est manifeste, et nous continuerons tout à la fois d'être vigilants durant l'été, en plein soutien avec l'ensemble des membres de l'Union européenne, dont Chypre et la Grèce, mais aussi de réengager des travaux communs. Et c'est ce que nous avons en particulier fait sur la question des réfugiés, puisqu'on le sait, la Turquie a une responsabilité et joue un rôle important en la matière. C'est pourquoi nous avons aussi clarifié notre stratégie de financement sur ce sujet pour donner de la visibilité.
Nous avons eu également, cette fois-ci, un long débat sur le lien entre l'Union européenne et la Russie. Celui-ci a été alimenté par le récent rapport qui nous a été remis et qui présente les leviers d'action dont nous disposons pour améliorer notre relation avec Moscou. Nous sommes convenus de l'importance de maintenir une approche unifiée, à l'instar des mesures adoptées de manière solidaire au cours des derniers mois, mais à avoir également une approche volontariste et planifiée, et non pas de céder en quelque sorte à la réaction systématique aux provocations ou agressions. Et avec la Chancelière, nous avons proposé justement de documenter l'ensemble du champ de discussions sur lesquelles nous pouvons nous engager avec la Russie pour structurer un agenda qui peut être un agenda de coopération et de travail conjoint dans les prochains mois et un agenda de clarification ou parfois de désaccords. Mais celui-ci doit être structuré, pensé, voulu par les Européens. Il y a eu une longue discussion, on y reviendra sans doute dans vos questions, sur l'opportunité d'une rencontre avec le Président Poutine. Cette discussion, pour moi, n'est pas de rang 1, nous rencontrons le Président Poutine, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies en permanence et par les sommets que nous faisons. Par contre, nous avons structuré un agenda commun et je veux voir là un progrès considérable depuis que la France a engagé ce travail, depuis le mois d'août 2019. En tout cas, avec l'Allemagne, nous avons porté avec cohérence et volontarisme ce message d'une approche unifiée, volontariste et pleinement européenne de ce rapport avec la Russie.
Ces discussions nous ont également permis de faire un point sur la situation en Biélorussie, en Libye et en Ethiopie. Les conclusions sont claires à cet égard et je vous y renvoie. Nous avons, par ailleurs, eu l'occasion d'échanger sur les grands enjeux internationaux au-delà de ces points.
Et j'ai pu, à ce titre, évoqué la situation au Sahel, qui est un enjeu de sécurité collectif pour l'ensemble des européens. J'ai présenté évidemment la stratégie française telle que je l'avais annoncée il y a quelques semaines, qui est en cours de travail avec nos partenaires : transformation de notre dispositif, sortie d'une logique d'Opex pour aller vers une logique de lutte contre le terrorisme et de soutien aux armées sahélienne. En aucun cas, un désengagement puisque nous aurons plusieurs milliers de soldats qui resteront engagés sur zone. Et je veux saluer ici l'engagement à nos côtés de tous nos partenaires européens qui ont confirmé pour tout ce qui était engagé, en particulier dans l'EUTM ou dans Takuba, leur présence à nos côtés. Je veux même saluer le choix fait par la Roumanie, jeudi dernier, de nous rejoindre, ce qui fait que nous sommes aujourd'hui 10 dans la force Takuba, avant que d'autres partenaires ne nous rejoignent, et plusieurs Africains en particulier sont en train d'instruire ce dossier.
Je veux, au moment où j'évoque ce sujet sahélien, adresser toute ma solidarité à l'ensemble des militaires de la Minusma qui ont été blessés au Nord-Mali ces dernières heures, et en particulier les militaires allemands. Le bilan est encore provisoire, mais il y a eu une attaque contre cette force des Nations unies, et je veux ici redire notre plein soutien.
Ensuite, nous avons évidemment évoqué la question de la pandémie et de l'évolution du Covid-19, avec évidemment l'avancée de la campagne vaccinale qui est un véritable succès européen. Et je veux redire ici combien, en agissant en Européens d'abord, nous avons sécurisé des achats de vaccins ensemble, nous avons ensuite développé des capacités de production ensemble et des capacités d'innovation et de production pour l'avenir. Les choix, qui ont parfois été critiqués avec facilité par certains en début d'année, s'avèrent efficaces et surtout, nous ont évité la perte de temps et une conflictualité qui aurait été terrible. Nous avons ensuite concentré le débat et dans les prochaines semaines, il conviendra d'être vigilant sur ce point, sur la nécessaire coordination. D'abord, nous devons tous reconnaître les mêmes vaccins. Les vaccins qui ont été autorisés par l'Autorité européenne du médicament. Ils sont pleinement efficaces, nous le savons, y compris contre les derniers variants, dont le variant Delta. Les autres vaccins n'ont pas le même degré de visibilité, en particulier sur ce dernier variant. Cette coordination s'impose aussi pour que nos règles s'harmonisent en matière d'ouverture à des pays tiers. Et c'est la clé pour que le Green Pass européen, qui va entrer en vigueur dans les prochains jours, soit pleinement efficace. Nous avons là aussi de concert, et parfaitement alignés avec Mme la Chancelière Merkel, eu le même discours qui est un discours de prudence et de vigilance avec l'émergence de ce nouveau variant et d'une coordination européenne absolument indispensable.
Nous avons pu aussi revenir sur nos engagements lors du G7. Comme vous le savez, la France a porté à 60 millions le nombre de doses qu'elle va donner d'ici la fin de l'année. Nous représentons une contribution importante de l'ensemble des doses qui seront données par l'Union européenne. Je pense que nous pouvons encore faire davantage, mais nous avons rappelé la nécessité pour chacun d'être au rendez-vous de cette solidarité internationale. Personne ne sera pleinement protégé tant que nous ne sommes pas tous protégés sur la planète.
Dans la continuité de ce sujet lié au Covid, nous avons ce matin eu une discussion sur les politiques de relance et sur, justement, la politique également monétaire dans le cadre d'un sommet de la zone euro en format dit inclusif. Les plans de relance deviennent une réalité et nous pouvons nous en réjouir. Et là aussi, il faut, à l'occasion de ce sommet, faire le bilan. Il y a un an, nous n'avions pas de plan de relance européen et il y a moins d'un an, nous avons décidé de manière inédite, en plus de nos perspectives financières, d'un plan massif de relance d'une capacité commune d'endettement. C'est maintenant une réalité. Les émissions ont commencé il y a plusieurs jours, les plans de relance nationaux ont été validés et nous sommes dans la phase de réalisation. Et donc, cette année a marqué la capacité des Européens à réagir vite et bien en matière de politique monétaire, de politique budgétaire et d'investissement. C'est ce qui nous permet d'ailleurs d'envisager la sortie de crise de manière beaucoup plus sereine, mais avec néanmoins, je dirais, des sujets qu'il nous faut embrasser avec beaucoup de force.
D'abord, continuer à assurer aussi longtemps qu'il le faut, une relance, en particulier de l'offre pour rattraper le tendanciel de croissance qu'avaient les Européens avant crise. Nous ne devons pas nous satisfaire de simplement de retrouver le niveau de Produit Intérieur Brut que nous avions avant la crise Covid. Il faut rattraper non seulement ce niveau, ce qui semble être le cas pour le début de l'année 2022, mais le tendanciel que nous avions en croissance auparavant, ce qui veut dire un volontarisme des Européens pour financer justement certaines innovations de rupture mais aussi les secteurs qui ont parfois été les plus touchés, pour qu'ils retrouvent vite leur puissance, et de nouveaux secteurs créateurs d'emplois et de valeur ajoutée.
Ensuite, nous avons insisté sur la nécessité d'accélérer le calendrier sur l'union bancaire et l'union de marchés de capitaux. Ces éléments sont clés pour notre agenda, parce qu'il nous faut financer davantage en fonds propres nos entreprises et notre relance et il nous faut donc parachever ce travail qui avance à mes yeux encore trop lentement. Je pourrai répondre plus exhaustivement à vos questions mais c'est le coeur de la stratégie de relance et de croissance qui a été discutée ce matin.
Et puis enfin, nous avons eu hier soir une discussion sur le sujet des valeurs des Européens, à l'occasion, comme vous le savez - et le débat a été largement public ces derniers jours - à l'occasion d'une loi en Hongrie qui visait, sous prétexte de protéger l'éducation des enfants, à confondre tous les sujets, à associer la pornographie, la pédophilie avec l'homosexualité, à légitimer pleinement l'homophobie. Une loi, en somme, totalement contraire à nos valeurs et à notre droit. Les Européens se sont montrés unis. Je répondrai là aussi à vos questions de manière claire. Mais quand on se retrouve tous, à l'exception de deux, à dire clairement les choses, il n'y a pas grande nouveauté dans la salle et il n'y a aucune complaisance. L'Europe est un projet qui est d'abord politique. Il a commencé avec le Conseil de l'Europe. C'est ce socle qui nous tient, que nous avons ensuite réendossé au sein de l'Union européenne. Et nous qui défendons nos valeurs, notre Europe, partout dans le monde, quelle cohérence aurions-nous, quelle crédibilité aurions-nous si nous acceptions ainsi que ces valeurs soient sapées en notre sein ? Et donc lutter contre ces lois homophobes, c'est défendre la liberté individuelle, la dignité humaine sur notre sol et pour nous tous. Il n'y a donc aucune ambiguïté à avoir et je soutiens pleinement la procédure juridique qui a été enclenchée par la Commission européenne.
Mais à cette occasion, j'ai aussi dit clairement que nous, Européens, devions nous poser une question sur nous-mêmes. Nous voyons dans plusieurs pays membres - la Hongrie, la Pologne et plusieurs autres - monter un conservatisme antilibéral sur nos valeurs. Il fait partie de nos sociétés, nous devons le respecter. Mais il est aujourd'hui en train de saper ces valeurs et ce qui a construit depuis des siècles le coeur de nos démocraties libérales occidentales. Or c'est une tendance profonde de ces sociétés, pas de quelques dirigeants, et je le dis aussi ici parce que ce serait trop facile de pointer du doigt simplement un dirigeant comme Viktor Orban. Moi je le fais avec une vraie opposition de valeurs, mais beaucoup de respect pour un Premier ministre qui est démocratiquement élu. La question à laquelle nous devons réfléchir, c'est comment des peuples en arrivent là au sein de l'Europe ? Et donc quelque chose se passe en notre sein qui montre une forme de dérive et nous devons y réfléchir, redonner du contenu, des perspectives, du sens à nos valeurs libérales, au sens politique du terme, au sens philosophique du terme, et montrer la force de nos démocraties. Je ne crois pas qu'on ait une société plus sûre et plus forte quand on nie la dignité d'un de nos citoyens ou d'une de nos citoyennes. Or c'est ça le modèle qui est en train de devenir attractif dans trop de pays. Comment en arrivons-nous collectivement là ? Comment aujourd'hui peut-on croire en Pologne, en Hongrie ou ailleurs, qu'on défend notre histoire, notre identité d'Européens, ou de Hongrois ou de Polonais, en stigmatisant un enfant, un adolescent, un jeune homme ou une jeune femme, pour ce qu'il est et ce qu'il a le droit d'être librement et de devenir ? C'est un recul terrible, mais ce n'est pas tant le recul des lois que nous devons combattre évidemment avec intransigeance, c'est le recul dans les esprits et les mentalités qui me préoccupe. Et à ce titre, c'est une bataille culturelle, civilisationnelle que nous devons mener. Nous n'y céderons rien. Les discussions de la semaine prochaine d'ailleurs, que nous tiendrons à Paris, je l'espère, permettront d'avancer mais je souhaite aussi qu'en associant nos partenaires autour de la table et en le refaisant à 27, nous continuions d'avancer sur ce sujet./.
(Source : site Internet de la présidence de la République)
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