Politique étrangère - Entretien de M. Emmanuel Macron, Président de la République, au journal télévisé de 20h de "TF1" et de "France 2" - Extraits (Paris, 24/09/2023)
=Seul le prononcé fait foi=
Q - Bonsoir Monsieur le Président.
R - Bonsoir.
Q - Merci beaucoup de nous recevoir après une semaine riche, une semaine chargée pour la France et pas seulement à cause de la Coupe du monde de rugby. Nous avons reçu le roi Charles III, nous avons reçu le pape à Marseille, le pape qui a interpellé nos démocraties européennes, y compris le dirigeant que vous êtes sur le drame des migrants. Quand il parle, quand il met en garde contre le fanatisme de l'indifférence. Que lui répondez-vous ?
R - D'abord, vous venez de le dire, je voudrais commencer cet entretien en félicitant les Français, parce qu'il y a peu de pays aujourd'hui dans le monde qui peuvent relever des défis concomitants de cette nature. Nous accueillons la Coupe du monde de rugby Lille, Marseille, Paris, Saint-Etienne, cette semaine, ont accueilli des matches. On a reçu le roi, la reine d'Angleterre à Paris puis Bordeaux, et le pape est venu à Marseille. Et donc je veux remercier nos élus, nos bénévoles, les services de l'Etat et des collectivités qui ont rendu cela possible. On a mobilisé, en particulier ce samedi, près de 100.000 policiers et gendarmes. Sur les 166 unités de forces mobiles que nous avons dans le pays, toutes ont été mobilisées. On a remis les vacances. Donc tout ça arrive parce qu'il y a aussi une capacité à accueillir, à assurer la sécurité, à être exemplaire dans l'accueil. Donc, je le dis à tous nos compatriotes, grâce à cet effort collectif, vous pouvez être fiers. Et cette France qui était au rendez-vous, cette France qui sait accueillir le monde, qui s'est donné cette formidable image, c'est aussi celle que nous saurons être dans 300 jours, quand il faudra accueillir les Jeux olympiques et paralympiques.
Q - Alors, il y a le discours du pape sur les migrants et puis il y a la réalité politique française, européenne.
R - Oui.
Q - Est-ce que vous pouvez répondre au pape, par exemple ?
R - Non. Le pape a raison d'appeler à ce sursaut contre l'indifférence parce qu'à chaque fois qu'on parle du sujet de l'immigration, on parle de femmes et d'hommes, il ne faut jamais l'oublier. Puis après...
Q - 28.000 morts en 10 ans. Est-ce que l'Europe fait assez ?
R - Et j'ai eu l'occasion moi-même de le dire, mais l'Europe est le continent qui fait le plus. Et donc ce qu'il faut voir aujourd'hui, c'est que d'abord, nous, Français, nous faisons notre part. Il y a en moyenne environ 100.000 demandeurs d'asile chaque année dans notre pays. On accueille de plus en plus d'enfants. Nos départements le savent et l'Etat est à leur soutien et continuera de l'être. Je veux ici leur dire. Nous investissons - et on l'a augmenté très fortement ces dernières années - 2 milliards d'euros par an sur ce qu'on appelle l'hébergement d'urgence, ce qui permet de loger les sans-abri de notre pays. Mais pour près de 60%, ce sont des femmes et des hommes qui attendent un titre ou sont en situation irrégulière que nous logeons. Donc la France fait sa part. Mais il faut ce message d'universalisme. Moi, je ne suis pas indifférent, et nous devons être humains, accueillir en particulier ceux qui fuient des conflits. Mais on doit aussi être rigoureux parce qu'on a un modèle social qui est généreux et on ne peut pas accueillir toute la misère du monde comme disait un ancien Premier ministre.
Q - Concrètement, pour les migrants de Lampedusa, combien on va en accueillir ? Et Gérald Darmanin a parlé de ceux qui auraient et obtiendraient l'asile politique. Combien de migrants de Lampedusa vont arriver en France ?
R - Le ministre de l'intérieur a eu raison de distinguer la situation de migrants qui arrivent et qui iront à travers l'Europe avec des femmes et des hommes à qui on donnera des titres et qui sont en attente de l'asile, qui sont à ce moment-là des réfugiés, des gens qui... dont on instruit la situation. Qu'est-ce qui se passe d'abord à Lampedusa, ce que vous avez montré, ces dernières semaines ? C'est la réalité du phénomène migratoire, il est européen. Et donc le coeur de la réponse n'existe pas en franco-français. Et moi, c'est aussi pour ça que je veux qu'on travaille avec la Présidente du Conseil italien, parce qu'elle a fait un choix fort qui n'avait pas été celui, il y a quelques mois, suivi par l'Italie.
Q - C'est cette crise migratoire qui l'a amenée aussi au pouvoir.
R- Oui, mais je note que là où il y a dans sa majorité des gens qui sont sur une réponse simpliste et nationaliste, là où il y a pu avoir, à certains moments, une Italie qui a dit : on ne prend plus les bateaux, on les renvoie chez les autres, l'Italie prend sa responsabilité et elle joue son rôle de ce qu'on appelle le premier port sûr. Nous, nous devons jouer notre rôle en européen et aider les Italiens. On ne peut pas laisser...
Q - Comment ?
R - ...les Italiens seuls. Et donc, la réponse, elle est d'ensemble, elle est européenne. Première chose. On doit, nous Européens, avoir une approche cohérente avec les pays d'origine ; et donc...
Q - C'est-à-dire que ce n'est pas qu'une question européenne, ça veut dire que c'était une question qui relève aussi des Etats africains ?
R - En l'espèce, c'est une question où l'Europe doit jouer groupée, ce qu'elle n'a pas fait jusqu'alors, et où on doit jouer avec les pays d'origine, et ce qu'on appelle les pays de transit. Laissez-moi vous le dire juste de manière très simple. La plupart des migrants qui sont arrivés à Lampedusa venaient d'Afrique subsaharienne avec beaucoup de pays auxquels nous envoyons beaucoup d'aide publique en développement. Et la France a augmenté cette aide. Nous sommes au rendez-vous de nos engagements. Et beaucoup de pays dans lesquels nous avons des ambassades qui délivrent des visas. Donc, nous devons en européen mieux conditionner notre aide à une politique responsable en matière migratoire et en disant "on vous aide" sur des projets pour donner des opportunités économiques à la population, mais vous devez nous aider à démanteler chez vous les réseaux qui conduisent ces gens à quitter leur pays...
Q - Mais jusqu'ici ça...
R - ...et surtout beaucoup mieux coopérer au retour. Ça ne fonctionne pas parce qu'on ne l'a jamais fait en vrai en européen... J'ai essayé de le faire en franco-français...
Q - Et vous dites quoi à la Tunisie, en Maroc, à l'Algérie ?
R - Alors ça, ce sont les pays de transit.
Q - Oui.
R - Moi, je dis 1) Première bataille avec les pays d'origine et c'est coopératif. Mais on doit les réengager, et ça doit faire partie de la relation de partenariat entre l'Europe et l'Afrique. La deuxième chose, ce sont les pays, en effet, de transit. Là, on a eu en quelques heures, en tout cas en quelques jours, plusieurs milliers de migrants qui arrivent à Lampedusa et qui partent tous du port de Sfax.
Q - En Tunisie.
R - Je souhaite qu'on engage avec la Tunisie, en européen, là aussi, une politique responsable. On vous aide budgétairement. Et là-dessus, l'Italie et la France sont d'accord ensemble, je souhaite qu'on obtienne un accord européen. Il se trouve qu'on va beaucoup parler d'immigration parce que nous avons... Attendez, je vais au bout, c'est essentiel. Et deuxième chose, moi, je veux qu'on leur propose d'embarquer des études, des experts, des matériels, etc. sur leurs côtes pour démanteler ces passeurs. Et c'est un partenariat respectueux. Il se trouve que c'est ce qu'on fait, nous, avec les Britanniques. On accepte d'avoir des experts britanniques à Calais pour nous aider à démanteler ces réseaux de passeurs, et on a de très bons résultats. On va proposer la même chose aux Etats de transit dans la rive sud de la Méditerranée ; parce que la clé, c'est qu'on doit mieux protéger nos frontières. Et donc doit...
Q - La Libye, par exemple, est-ce que vous serez en mesure d'envoyer des équipes ?
R - Exactement, et aussi, et nous l'avons fait par le passé.
Q - Dans un pays qui est politiquement très...
R - Il y a quelques années, nous avons su le faire, en formant des garde-côtes libyens en équipant mieux. Et donc je veux proposer à la Présidente du Conseil italien et convaincre les autres Européens et la Commission de mettre plus de moyens dans ces pays de transit, de leur proposer des partenariats pour éviter les départs, parce que c'est là que les gens prennent tous les risques, en Méditerranée, vous l'avez dit, c'est ce que dénonçait le pape. Ensuite...
Q - On va parler [inaudible].
R - Ensuite, il faut aller, c'est un tout. Ensuite, quand on arrive, on doit avoir une politique européenne et c'est là aussi où on va aider l'Italie. Quand les migrants arrivent à Lampedusa, il faut que l'Europe aide à enregistrer des situations. Et donc ça, c'est un investissement de l'Europe tout entière.
Q - On a vu que...
R - Et puis après...
Q - Lampedusa avait été totalement débordée.
R - On va peut-être y venir, mais il y a une réforme nationale.
Q - On ne saura pas combien de migrants vont être accueillis en France.
R - Nous, on en a accueilli plusieurs dizaines de milliers ces dernières années. Mais c'est très peu.
Q - Mais on va continuer à le faire ?
R - Pas en relocalisation de l'Italie.
Q - En relocalisation et aussi de l'Italie. Mais la clé de tout ça, c'est qu'on ait cette politique que j'évoque. L'efficacité est européenne et l'efficacité par le changement de notre organisation. Et puis, à côté de ça, en effet, on doit changer des choses chez nous en France.
[...]
Q - Une question internationale si vous le permettez. Le Niger. La France depuis deux mois, est dans une situation quasiment intenable. Notre ambassadeur ne peut plus sortir de l'ambassade. Nos 1.500 militaires ne peuvent plus sortir de leur base. Combien de temps ça peut durer ?
R - Ecoutez, d'abord, nous sommes au Niger parce que, à la demande des pays de la région, nous avons été lutter contre le terrorisme. Et quand je vous parle aujourd'hui de cette question, je pense à tous nos soldats qui sont morts au Sahel pour la paix de cette région et pour lutter contre le terrorisme. Nous avons été, à la demande du Burkina Faso, du Mali, du Niger, sur leur sol pour mener cette guerre. Et Barkhane, cette opération militaire est un succès parce que sans celle-ci. La plupart de ces pays auraient déjà été pris par des califats territoriaux et des djihadistes.
Q - Ils nous ont demandé de partir depuis et la situation a régressé.
R - Non mais ces pays ont été frappés par des coups d'Etat. Est-ce que c'est la faute de nos militaires ou de la France ? Non. Il n'y a plus de Françafrique. Donc quand il y a des coups d'Etat, nous, on n'interfère pas dans la vie politique des pays.
Q - Cela veut dire qu'on ne reste pas là-bas ?
R - Contrairement à ce qui est dit. Mais j'ai eu cet après-midi le Président Bazoum parce que la seule autorité légitime du Niger, c'est le Président Bazoum, qui a été élu par son peuple et qui aujourd'hui est détenu en otage et l'objet de ce coup d'Etat parce qu'il menait des réformes courageuses et parce qu'il y a au fond des règlements de compte largement ethniques et beaucoup de lâcheté politique. Je l'ai dit au Président Bazoum. Et donc la France a décidé de ramener son ambassadeur et donc dans les prochaines heures, notre ambassadeur, avec plusieurs diplomates, rentreront en France, et nous mettons fin à notre coopération militaire avec les autorités de fait du Niger car elles ne veulent plus lutter contre le terrorisme.
Q - C'est donc la fin de la présence française militaire au Niger ?
R - Elle sera organisée dans le temps, dans les semaines à venir. Mais c'est la fin de cette coopération parce que nous ne sommes pas là pour participer à la vie politique, pour être les otages en quelque sorte de putschistes. Mais je vais être très clair. On le voit déjà aujourd'hui au Mali.
Q - Ces soldats-là, ils vont rentrer quand ?
R - Ils vont rentrer de manière ordonnée dans les semaines et les mois qui viennent. Et là, nous nous concerterons avec les putschistes parce que nous voulons que cela se fasse dans le calme.
Q - Mais d'ici la fin de l'année.
R - Mais d'ici la fin de l'année. Nous continuerons d'accompagner le continent africain pour lutter contre le terrorisme.
Q - Ça veut dire que si on part, ça ne veut pas dire qu'on ne reviendra pas ?
R - Nous ne le faisons pas
Q - En termes de renseignement ?
R - Mais nous ne le faisons que si c'est à la demande des pouvoirs démocratiquement élus et des autorités régionales.
Q - Fin 2023, il n'y aura plus de militaires français au Niger.
R - Au Niger. Tout à fait. Par contre, nous continuerons d'être engagés partout où les Etats africains nous demandent de la coopération.
Q - Oui.
R - Avec un agenda clair. Nous, on n'est pas là pour participer à des coups d'Etat ou interférer. On est là pour lutter contre le terrorisme. Mais je vous le dis, les putschistes sont les amis du désordre. Regardez aujourd'hui : le Mali, chaque jour, a des dizaines de morts. Au moment où je vous parle, il y a plus de morts liés au terrorisme islamiste au Niger depuis le début de ce coup d'Etat qu'il n'y en a eu dans les 18 mois précédents. Et donc, moi, je suis très inquiet par cette région. Je pense que la France, parfois seule, a pris toutes ses responsabilités grâce à nos militaires, et je suis fier d'eux et nous devons être fiers d'eux car cette opération a été un succès.
Q - Monsieur le Président...
R - Nous ne sommes pas responsables de la vie politique de ces pays et on doit en tirer les conséquences.
Q - C'est une question sur notre conflit au coeur de l'Europe qui oppose l'Arménie aux Azéris. Est-ce que vous confirmez le soutien de la France au peuple arménien ? Beaucoup de Français d'origine arménienne vous écoutent ce soir et s'inquiètent et s'interrogent. Si vous apportez votre soutien, il ne sera que verbal. Sous quelle forme on peut soutenir les Arméniens ?
R - Il est inconditionnel, il est entier, il est constant depuis le début et ils le savent. Ces derniers jours, nous avons vécu des crimes inacceptables et des opérations de guerre au Nagorno-Karabakh [Haut-Karabakh], c'est-à-dire dans cette région qui a été reprise par l'Azerbaïdjan à l'automne hiver 2020 dans des conditions terribles et où les droits des minorités, et en particulier de plusieurs chrétiens qui vivent là-bas, de populations d'origine arménienne qui vivent sur ce sol, ont été complètement bafoués.
Q - Comment faire pour empêcher que ça continue et que ça se prolonge ?
R - Premièrement, nous allons et nous continuerons de nous mobiliser sur le plan humanitaire pour venir en secours des populations qui sont au Nagorno-Karabakh [Haut-Karabakh] et venir les aider sur la question alimentaire et les secours. La deuxième chose. Nous apportons un soutien politique pour que dans la seule paix durable qui peut être négociée, passé des heures de discussion entre le Président de l'Azerbaïdjan et le Premier ministre d'Arménie, le droit des minorités, en particulier au Nagorno-Karabakh [Haut-Karabakh], soit respecté. Et la troisième chose. La France est aujourd'hui très vigilante à l'intégrité territoriale de l'Arménie, car c'est ça ce qui se joue. Il faut être très clair.
Q - Une question...
R - On a aujourd'hui une Russie qui est complice de l'Azerbaïdjan, une Turquie qui a toujours été en soutien de ses manoeuvres, et un pouvoir qui est désinhibé et qui menace la frontière de l'Arménie. C'est ça aujourd'hui qui est en risque. La France se tiendra aux côtés du peuple arménien de manière claire et aux côtés du droit international, à chaque fois.
[...]
Q - Merci beaucoup, merci Monsieur le Président.
R - Merci à vous. Merci à tous les deux.
Q - Et merci à vous qui nous avez suivi ce soir. À très bientôt.
R - Merci beaucoup./.
(Source : site Internet de la présidence de la République)
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