Union européenne - Débat au Sénat sur les priorités de la présidence française du Conseil de l'Union européenne - Propos liminaire de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères (Paris, 16/11/2021)
Monsieur le Président, Monsieur le Président Rapin, Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs,
Qu'y a-t-il de commun entre la crise pandémique qui nous frappe depuis bientôt deux ans, l'urgence climatique, le durcissement de la vie internationale et les inconnues de la révolution numérique ? A mes yeux, la réponse est très claire : ces bouleversements globaux sont autant de défis que nous ne pouvons espérer relever pleinement que si nous y faisons face en Européens, avec nos partenaires des Vingt-Sept à nos côtés.
C'est la conviction qui a toujours guidé l'action du Président de la République et du gouvernement. C'est pourquoi la présidence française du Conseil de l'Union européenne qui débutera le 1er janvier prochain constitue, pour nous, une échéance politique décisive. Alors que nous entrons dans la toute dernière ligne droite, je me réjouis de pouvoir évoquer avec vous les avancées de notre travail de préparation, dont il reviendra au Président de la République de présenter les premières orientations aux Français, au début du mois prochain.
Ce que je peux d'ores et déjà vous dire, c'est que l'impératif de souveraineté européenne, que vous avez évoqué, Monsieur le Président, -autonomie stratégique-, sera notre fil d'Ariane, pour accélérer le vaste mouvement de prise de conscience qui parcourt l'ensemble de notre Europe, depuis qu'elle a commencé à sortir du temps de la naïveté et de l'innocence pour ouvrir pleinement les yeux ; sur les formes de dépendance excessive, dans lesquelles nous avons pu nous laisser entraîner ; sur la brutalisation du monde ; et sur les risques de fracture qui menacent notre Union.
Pour répondre à chacun de ces dangers, nous devons nous mettre en capacité de faire nos propres choix, en affirmant cette souveraineté collective qui, dans un monde de compétition à outrance, est - de toute évidence - le prolongement et la meilleure garantie de nos souverainetés nationales. Oui, j'y insiste : la souveraineté collective que les Européens affirment ensemble, c'est aujourd'hui le prolongement et la meilleure garantie de la souveraineté de la France. C'est un fait géopolitique, stratégique et politique. C'est pourquoi il n'y a pas à choisir entre la France et l'Europe. Et comme le disait le Président de la République, en s'adressant à nos compatriotes, il y a toute juste une semaine : "la France ne sera pas forte toute seule". Car notre Europe, en nous donnant le surcroît de puissance et d'influence qui rend notre nation plus solide et plus robuste pour affronter la mondialisation, vient consolider les forces qui sont les nôtres.
Voilà - vous le sentez bien - tout le sens de notre engagement européen, dont cette treizième présidence française de notre Histoire doit être un temps fort.
Ce que nous porterons, tout au long de cette présidence, c'est d'abord l'ambition - vous avez cité les mots, Monsieur le Président -, c'est d'abord l'ambition d'une relance européenne souveraine et solidaire, pour continuer à tirer les leçons de la crise du Covid et nous donner les moyens de réussir les grandes transitions de demain.
Il s'agit de rebâtir nos capacités industrielles et technologiques, en misant sur l'innovation, notamment par le lancement de nouveaux PIIEC, projets importants d'intérêt européen commun, sur l'électronique, la connectivité 5G/6G, ainsi que sur l'hydrogène. Pour réarmer l'économie européenne, nous continuerons aussi à nous battre pour que nos entreprises jouent à armes égales avec leurs concurrentes dans une économie mondialisée, en luttant contre toutes les formes de concurrence déloyale. Et il y a des textes en discussion, en préparation, qui devront, je pense, aboutir au cours de notre présidence.
Il s'agit aussi d'avancer dans la construction de l'Europe de la santé dont nous avons su poser les bases au coeur même de la première vague pandémique, en brisant des tabous et en allant même au-delà de nos traités.
Il s'agit également de donner corps à l'idée d'Europe sociale qui n'est désormais plus un simple slogan.
Il s'agit aussi de continuer à décliner notre agenda de souveraineté numérique après le succès du RGPD, en nous donnant des outils pour mettre en place de vraies règles du jeu sur les marchés numériques et lutter plus efficacement contre les contenus illicites et préjudiciables. C'est pourquoi nous ferons tout notre possible pour faire avancer les négociations sur les règlements DMA (Digital Markets Act ) et DSA (Digital Services Act), afin de continuer à bâtir, étape par étape, un modèle de régulation numérique européen.
Il s'agit, enfin, de travailler à mettre en oeuvre le "Pacte Vert", proposé par la Commission en juillet dernier. De la COP21, dont nous avons défendu les acquis contre vents et marées, à la COP26 qui vient de s'achever, l'Europe a souvent montré la voie. Le "Pacte de Glasgow pour le climat", s'il enregistre de réels progrès, montre bien que les efforts doivent se poursuivre pour que nous soyons, collectivement, à la hauteur de la situation et de sa gravité. Et c'est bien pour cette raison que nous continuerons à avancer, sur notre continent, par des actes concrets.
Pour autant, nous veillerons également à ce que l'Union ne retombe dans une forme de naïveté qui consisterait à sacrifier notre compétitivité et l'attractivité économique de notre continent. Collectivement, nous avons su faire preuve d'une détermination remarquable, en nous fixant un double objectif de réduction de nos émissions d'au moins 55% en 2030 et de neutralité climatique en 2050. Nous devons, ensemble, faire preuve de la même détermination pour nous assurer que notre politique environnementale ira de pair avec la préservation de nos intérêts et l'affirmation de règles de concurrence plus équitables au niveau international, en mettant en place un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières européennes, et en faisant respecter l'Accord de Paris dans les clauses de nos accords de libre-échange.
Cette souveraineté réaffirmée, elle n'est tenable que si, dans le même temps, notre Europe assume enfin la puissance qu'elle porte en elle. Ce sera la deuxième ligne de force de notre présidence.
Disons-le : pour des raisons qui tiennent à l'Histoire dont elle est le fruit, notre Union n'a pas toujours eu le réflexe de la puissance. Pourtant, là aussi, une prise de conscience commence à faire bouger les lignes, à l'échelle du continent.
En témoignent les progrès de la défense européenne, qui se poursuivront grâce à l'adoption, je l'espère, sous présidence française, de notre première Boussole stratégique qui doit tirer toutes les conséquences du recentrement de notre allié américain sur une définition plus ciblée de ses intérêts fondamentaux. En définissant une approche proprement européenne des menaces qui pèsent sur nous aujourd'hui ; en renforçant nos capacités opérationnelles et industrielles ; en défendant nos intérêts et notre liberté d'action dans les espaces contestés, notamment l'espace exo-atmosphérique, dont le tir- irresponsable et que je condamne fermement - d'un missile antisatellite que vient d'effectuer la Russie, a démontré une fois de plus, qu'il était devenu un espace de confrontation.
Il y va de notre sécurité, de notre souveraineté. Il y va aussi de l'avenir de l'Alliance atlantique. Car il est clair que le renforcement de la défense européenne ne pourra se faire que dans le cadre d'un rééquilibrage et d'une refondation des liens entre les Etats-Unis et les Européens. Et les échanges que le Président de la République et le Président Biden ont eus à Rome, à la fin du mois dernier, montrent que notre partenaire américain commence à intégrer cette nécessité.
Ce qui témoigne aussi de cette prise de conscience stratégique, c'est le regard nouveau, plus pragmatique et plus lucide, que nous portons désormais sur les atouts qui sont les nôtres. Notre marché intérieur, qui est le premier marché au monde, et qui constitue notre meilleure base-arrière pour peser dans la mondialisation ; notre rang de premier bailleur mondial d'aide publique au développement ; nos efforts pionniers dans la régulation numérique : ce ne sont pas seulement des fiertés européennes, ce sont aussi, à une époque d'extension de la compétition géopolitique à tous les champs de la vie internationale, de nouveaux attributs de puissance. Et nous sommes en train de comprendre tout cela à 27 ; nous saisissons enfin que l'Europe est armée pour être une grande puissance du XXIe siècle, à condition - mais cette condition est essentielle - que nous fassions un usage stratégique de ces atouts.
Assumer notre puissance européenne, c'est aussi faire en sorte de pouvoir décliner deux tableaux à la fois : la grammaire traditionnelle des rapports de forces, notamment sur le plan de la défense, et les nouvelles batailles de l'influence.
Enfin, assumer notre puissance européenne, c'est aussi construire de nouvelles voies de coopération, particulièrement dans les régions qui ont une importance stratégique au regard de nos intérêts et de ces biens communs qu'il est, au fond, également de notre intérêt de défendre. Je pense à l'Indopacifique et je pense à l'Afrique.
Enfin, concernant nos dimensions de puissance, nous nous efforcerons aussi, dans le domaine migratoire, de faire en sorte que les éléments du Pacte sur la migration et sur l'asile puissent avancer. Vous y avez fait référence, Monsieur le Président, il faut tirer toutes les conséquences des phénomènes migratoires que nous constatons, toujours dans le respect de nos valeurs, en trouvant le bon équilibre entre responsabilité des Etats de première entrée et solidarité de tous les Etats membres, ne serait-ce que pour ne plus donner prise aux instrumentalisations cyniques et aux tentatives de déstabilisation inacceptables de certains dirigeants étrangers, à commencer par M. Loukachenko.
Au sein même de l'Union, nous nous battrons enfin pour ces principes et ces valeurs qui fondent notre appartenance à une même communauté, à la fois au moment de la conférence sur l'avenir de l'Europe et aussi au moment du lancement de l'Année européenne de la jeunesse, que nous célébrerons en faisant des propositions concrètes en direction de cette nouvelle génération d'Européens.
Voilà, Monsieur le Président, Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs, le triptyque "relance, puissance, appartenance" sur lequel nous nous employons à bâtir cette nouvelle présidence française. Pour aller plus loin à 27, dans la construction de la souveraineté européenne, nous avons besoin de cette souveraineté européenne pour garder la maîtrise de notre destin au XXIe siècle. Je vous remercie./.
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