Défense - Voeux de M. Emmanuel Macron, Président de la République, aux forces armées - Communiqué de presse de la présidence de la République (Cherbourg, 19/01/2024)
=Seul le prononcé fait foi=
Monsieur le Ministre des armées,
Messieurs les Ministres,
Monsieur le Président de la Commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale,
Madame la Présidente de la sous-commission sécurité et défense du Parlement européen,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Mesdames et Messieurs les élus,
Monsieur le Secrétaire général de la mer,
Messieurs les Préfets,
Monsieur le Chef d'Etat-Major des armées,
Monsieur le Délégué général pour l'armement,
Monsieur le Secrétaire général pour l'administration,
Madame la Directrice générale,
Messieurs les Chefs d'Etat-Major d'armée,
Monsieur le Directeur général de la Gendarmerie nationale,
Mesdames et Messieurs les Officiers Généraux, Officiers, Sous-Officiers, Officiers mariniers, soldats, marins, aviateurs et personnels civils des Forces armées,
Mesdames et Messieurs en vos grades et qualités,
C'est pour moi un plaisir et un honneur chaque année d'être à vos côtés pour ces voeux, qui ne sont pas simplement une tradition mais une reconnaissance particulière et particulièrement vivante qui honore la nation qui s'y prête autant que ceux qui les reçoivent. Je suis là aujourd'hui, avant toute chose, pour saluer votre engagement et son caractère singulier au service de la nation. Saluer aussi ceux qui ne sont plus là et dont la place est vide à nos côtés. En 2023, quatre de vos frères d'armes sont tombés : l'adjudant-chef Guy Barcarel, le sergent-chef Baptiste Gauchot, l'adjudant-chef Nicolas Latourte et le sergent-chef Nicolas Mazier. La France leur est éternellement reconnaissante et leur exemple est gravé dans le coeur de notre nation. Nombre de militaires ont aussi été blessés. De ces sacrifices quotidiens, de ces sacrifices ultimes, la nation est consciente et je serai inlassablement sa voix pour emporter la mémoire, pour saluer chacune et chacun et penser à leur famille, à tous.
Comme chaque année, en rappelant vos frères d'armes tombés, je viens vous présenter mes voeux et partager avec vous quelques convictions et quelques orientations pour nos armées et la nation. Il y a un an, à Mont-de-Marsan, je vous annonçais une loi de programmation militaire permettant de poursuivre l'effort entamé en 2017 pour notre défense. Cette loi, préparée d'une manière inédite, mobilisant le ministère comme jamais - et je vous en suis encore une fois reconnaissants -, a été votée en juillet dernier, et je salue le travail mené à cet effet par le ministre des armées, cher Sébastien Lecornu. Le budget de nos armées aura été multiplié par deux en deux quinquennats. C'était indispensable car nous savons combien nous vivons un temps de préoccupation et de gravité, avec la multiplication des crises, parfois simultanées.
Vous êtes sollicités, mobilisés, y compris pour développer nos réponses dans nos nouveaux espaces de combat - j'y reviendrai - comme le cyber, le spatial, les fonds marins ou la lutte informationnelle. Le général Burkhard le sait. Mon général, je veux ici vous redire tout à la fois ma reconnaissance et ma confiance. Si je fais le bilan de 2023 dans une situation aussi difficile, je veux vous dire combien, à mes yeux, les armées ont été au rendez-vous comme elles doivent l'être. De l'Europe orientale à la mer Rouge, du Proche-Orient à l'Afrique, en Indopacifique comme à La Réunion ces derniers jours, et à l'aune de ces résultats de votre mobilisation, de la multiplication des théâtres d'opérations et de leur complexité, je scrute 2024 avec lucidité.
L'Ukraine, d'abord : dans l'hiver glacial, l'agression russe se poursuit, bientôt deux ans. Vous savez l'importance de la volonté au combat et vous mesurez que l'on ne peut laisser la Russie penser qu'elle peut gagner. Quel serait le lendemain pour nous, Européens ? Je l'ai dit dès le début, nous ne sommes pas en guerre contre la Russie, mais notre devoir est de rendre sa victoire impossible. Une victoire russe, c'est la fin de la sécurité européenne. C'est la fin même d'une architecture de sécurité possible en Europe, de notre frontière orientale, pour l'Union européenne à l'OTAN, en passant par le Caucase et l'Asie centrale. C'est pourquoi nous continuerons à aider les Ukrainiens. Nous le ferons de manière pragmatique et concrète, en poursuivant les formations, en les équipant dans tous les domaines qui leur sont essentiels : l'artillerie, la défense sol/air et les frappes à distance. Nous le ferons en innovant aussi, pour répondre aux défis posés par l'emploi massif de drones. Pour cela, la France a un rendez-vous avec son industrie de défense, une industrie en mode "économie de guerre", pas un slogan, non, mais une capacité de production plus rapide et plus forte, j'y reviendrai. Sur le plan opérationnel, dans ce contexte, vous conduisez aujourd'hui des missions de réassurance sur le flanc oriental de l'Europe, au sol et dans les airs. Vous êtes engagés dans des missions de surveillance des approches en mer du Nord et en Méditerranée, et vous le faites avec une crédibilité que nous avons consolidée durant ces deux dernières années. Aucune autre armée au monde ne s'est déployée si vite et si massivement que nous, quelques jours après février 2022. La Roumanie l'a mesuré, mais tous nos alliés avec. Et nous l'avons fait en maintenant nos efforts sur terre comme dans les airs, à l'égard de nos alliés, sur le front oriental. Cette crédibilité qu'a la France nous donne aussi un devoir. Et s'il faut faire plus autrement ailleurs, nous ferons.
En Afrique, les reconfigurations que j'avais décidées en février 2023 ont vu leur nécessité confirmée par le putsch de cet été au Niger. Je veux saluer à ce titre le professionnalisme et le sang-froid dont ont fait preuve les forces françaises au Sahel pour conduire une manoeuvre logistique considérable, une prouesse tactique dans ce contexte si difficile. Mon Général, une fois encore, je vous remercie très solennellement ici, et tous ceux qui, à vos côtés, ont mené ces travaux. La manoeuvre était complexe. Vous l'avez menée avec perfection. Elle s'est achevée en fin d'année dernière, comme elle avait été prévue. C'est l'occasion pour moi de dire ici que durant dix ans, nous pouvons être fiers du travail fait par les armées françaises, fiers. Sans la France et l'engagement dès 2013, sans doute ne pourrions-nous pas parler aujourd'hui de Mali, de Niger ou de Burkina Faso, tant la souveraineté et l'unité de ces pays étaient menacées par des califats territoriaux et tout le monde semble l'avoir aujourd'hui oublié. J'ai une gratitude immense pour, d'opération en opération, les générations qui se sont succédé sur ces théâtres d'opération et vos frères d'armes qui ont laissé leur vie. Vous avez bien fait. Nous avons lutté ardemment contre le terrorisme et avec efficacité. Mais les enjeux évoluent dans la région. Nous continuerons à ce titre de protéger nos intérêts, mais nous le ferons d'une manière plus partenariale, plus équilibrée. Nous aurons des armées moins posées, moins exposées, avec des dispositifs légers, réversibles, avec davantage de formation, de coopérations ponctuelles, de dialogue, sans exclure des opérations là où elles seront demandées, pensées, envisagées, sans doute de manière plus ponctuelle. Et vos frères d'armes mettent d'ores et déjà en oeuvre ces orientations avec détermination, intelligence et efficacité. La France ne se désengage pas : elle se réorganise pour s'adapter à l'évolution de la menace, pour s'adapter aussi à l'évolution de l'organisation même des structures régionales et de la volonté de nos partenaires africains. Partenaires, je le dis bien, car jamais notre vocation n'est de nous substituer à des armées ou à la souveraineté de qui que ce soit.
Je pense évidemment aussi, regardant l'année qui s'ouvre, à la crise israélo-palestinienne, à la barbarie terroriste du 7 octobre dernier et à la responsabilité immense du Hamas, au drame humanitaire à Gaza et à nos otages retenus par le Hamas depuis trop longtemps. La France porte une initiative de paix et de sécurité pour tous en trois piliers - sécuritaire, humanitaire et politique - qui guident notre action résolue. Nous sommes le premier pays européen à être intervenu directement en soutien aux blessés du conflit, notamment des enfants. Le porte-hélicoptères amphibie Dixmude a permis de prendre en charge à bord plus d'un millier de Palestiniens et d'apporter des soins à plus de 120 blessés graves. Nous avons, grâce à l'Egypte, pu acheminer un fret humanitaire indispensable. Avec la Jordanie, nous avons réalisé, il y a quelques jours, un parachutage d'aide directement dans Gaza. Nous envoyons des médicaments pour les otages en lien avec le Qatar, et nous allons poursuivre ces actions. Aucun autre pays occidental n'a eu une telle intensité, tant de partenaires opérationnels sur le terrain et une présence si visible qui, non seulement, nous permettent de jouer notre rôle à l'égard des populations civiles, mais donnent aussi à la France un crédit diplomatique essentiel pour construire la solution politique que j'évoquais. Ces actions, nous allons donc les poursuivre.
La population civile de Gaza en a un besoin vital et toute la région continuera d'organiser des actions et sait pouvoir compter sur nous. Dans ce contexte régional, plus de 700 de vos camarades sont engagés en ce moment même au Liban, au sein de la FINUL. La France agit pour éviter que le feu ne se propage dans ce pays ami, où l'histoire nous donne, nous le savons tous ici, une responsabilité toute particulière. Nous continuerons, là aussi, de jouer ce rôle par cette présence militaire et nos actions diplomatiques.
En mer Rouge, la France défend par des actes la liberté de navigation dans une zone où les enjeux stratégiques sont majeurs. La FREMM Languedoc a ouvert le feu contre les missiles et drones houthis, signe d'une détermination sans faille. Cette présence, là aussi, nous l'avons marquée tôt, nous la maintenons. Au moment même où je vous parle, elle est efficace. Mais elle se fait dans un cadre que la France, de manière souveraine, décide, sans alignement facile, sans déclaration trop rapide. Je n'ignore pas non plus, évoquant encore une fois les mois qui viennent, les tensions en Indopacifique, qui nous concernent directement car nous en sommes une nation à part entière.
Depuis 2018, nous avons posé et exposé une stratégie pleinement assumée. Nous l'avons construite, de l'Australie à l'Inde, au Japon, en passant par les Emirats arabes unis. Nous l'avons démultipliée, nous l'avons ensuite démultipliée avec nos partenaires européens. Mais nous l'avons aussi consolidée, si je puis dire, ancrée dans nos propres territoires. En me rendant en Nouvelle-Calédonie, j'ai pu voir à l'oeuvre cette stratégie, rencontré la mission Pégase de l'armée de l'Air et de l'Espace et celle-ci a démontré notre capacité à déployer en 48h des avions de chasse jusqu'en Océanie, a montré que la souveraineté française s'exerce partout. 2024 nous verra maintenir, sans faiblir, la protection de nos Outre-mer et nous ferons face aux responsabilités qui incombent à la grande nation que nous sommes. Je vous épargnerai ici une énumération exhaustive. J'aurais pu évoquer les Balkans, l'Arménie, qui mobilisent notre attention et ont conduit à rehausser notre posture et à faire des choix historiques - en particulier en ce qui concerne l'Arménie, que je viens d'évoquer. Chaque fois, la consolidation de nos alliances, la recherche de partenariats ne cesseront de guider notre action, en Europe avec l'OTAN et l'Union européenne, mais aussi par des partenariats stratégiques, notamment Outre-mer, comme ceux noués avec succès lors de la réunion des ministres de la défense du Pacifique Sud à Nouméa en décembre dernier. Format inédit où la France fut la puissance invitante et qui nous a permis de démultiplier des partenariats interarmées en Indopacifique.
Je pense enfin à la sécurité de notre territoire, toujours. Ici, à Cherbourg, on sait bien ce que la sécurité de nos approches signifie. Nous étions avec le Prémar il y a un instant et le SGMer. Je veux aussi dire un mot pour ceux qui assument sous l'autorité du Premier ministre, des missions difficiles dans le cadre de l'action de l'Etat en mer. Je veux vous remercier solennellement et je veux saluer cette action essentielle. Alors qu'ici, plus que partout en métropole, vous êtes confrontés aux missions de sauvetage de la vie humaine en mer, dans un environnement exigeant, et face à une pression migratoire majeure qui pousse de pauvres gens exploités par des réseaux mafieux à risquer leur vie pour poursuivre un rêve parfois chimérique. Ce que vous faites ici est essentiel pour à la fois notre souveraineté, pour le respect du droit international, du droit humanitaire, du droit de la mer, et vous avez tout mon soutien. Cette mission, nous la poursuivrons, en métropole comme dans nos Outre-mer. Les missions que vous réalisez sur notre territoire ont en effet une importance aiguë. C'est l'essence de votre vocation, le coeur historique, de protéger notre pays, notre souveraineté. Ce sont des missions nobles que de tenir les postures permanentes de dissuasion, mais aussi de protection dans les airs, dans toutes les zones maritimes et ici, en Manche et en mer du Nord.
C'est aussi une mission éminente que celle de l'opération Sentinelle, car la menace terroriste, nous le savons, reste présente. 2024, je le disais à nos compatriotes il y a quelques jours, sera une année de fierté, avec l'accueil des Jeux olympiques et paralympiques à Paris, à Marseille, en Polynésie. Nous savons combien elle est importante, même si elle a parfois ses contraintes. Mais 2024, je le disais, année des Jeux olympiques et paralympiques, année aussi de grandes cérémonies du débarquement et je le dis - ô combien - ici, devant nos élus, qui en savent l'importance et devant nombre d'entre vous. C'est un rendez-vous de la France avec le monde et vous y prendrez toute votre place. Plus de 15.000 militaires seront engagés dans des missions adaptées aux armées. Ce temps exceptionnel verra les forces de la nation se compléter pour être à la hauteur de ce rendez-vous. Je sais pouvoir compter sur vous et je vous en remercie aujourd'hui. Plus que jamais les armées sont donc appelées à être déployées et vous vous tenez et vous vous tiendrez prêt, je le sais.
Et c'est pour être prêt que vous allez continuer à transformer aussi le ministère des armées. Je vous ai confié, Monsieur le Ministre, la mise en oeuvre de cette loi de programmation que nous respecterons à l'euro près, comme nous l'avons fait pour la précédente, pour faire de ce texte une réalité. Je suis conscient que c'est un défi que de transposer le marbre de la loi à la mobilité d'un monde qui ne cesse de nous surprendre, même si les services de renseignement - la DGSE, la DRM, la DRSD - font un travail remarquable et discret pour éclairer notre action. Plus que jamais, oui, il nous faudra nous adapter, garantir le temps long des projets qui structurent notre défense, tout en trouvant des solutions aux bouleversements que nous connaissons. Rien qu'ici à Cherbourg, cela signifie des moyens hauturiers renouvelés, avec la livraison d'un patrouilleur. J'ai été au CMN ce matin avec plusieurs d'entre vous, dans un bâtiment de base de plongeurs démineurs et de deux patrouilleurs de gendarmerie. Ce sont aussi 200 millions d'euros d'investissements prévus dans les infrastructures pour accueillir ces nouveaux bateaux, des nouvelles installations d'entraînement pour les fusiliers marins et un nouveau centre de formation à la sécurité. Nous mettrons aussi à la hauteur l'outil industriel qui assure le contrôle de la construction et le démantèlement des sous-marins nucléaires. Je ne perds pas de vue les besoins - très légitimes aussi - du quotidien, avec la rénovation d'hébergements à l'Ecole des spécialités du commissariat et de bâtiments de l'école, des applications militaires de l'énergie atomique. Ce n'est là que pour parler local, si je puis dire, mais pour montrer l'importance de tous ces projets pour notre présence, pour les collectivités et pour les grands industriels qui opèrent ici.
Au plan national, en 2024, nous attendons plus de 9 milliards d'euros de livraisons d'équipements et près de 14 milliards d'euros de commandes. Notre ordre de bataille va être profondément amélioré, avec la livraison d'un nouveau satellite d'observation, le CSO-3, de blindés du programme Scorpion au nombre de 250, de rafales et d'un sous-marin d'attaque construit à quelques encablures d'ici par Naval Group et ses partenaires, qui sont par ailleurs engagés dans les travaux de construction du futur SNLE.
Je veux ici, en citant de manière très concrète ce que signifie nos lois de programmation pour une seule année et montrer la dynamique de nos programmes, l'engagement de tous et toutes. Je veux évidemment saluer le travail de la DGA, de l'ensemble des ingénieurs de nos armées, saluer le talent des ouvriers, des techniciens, des ingénieurs qui permettent de renouveler le socle de notre défense. La France compte des talents rares. C'est un immense motif de fierté et nous avons vu ce matin combien les jeunes allaient vers ces métiers et continuaient d'être attirés. Et c'est une chance pour nous tous.
Nous investirons aussi davantage dans le champ cyber-informationnel. Nous augmenterons de 30% nos investissements dans le domaine, la défense spatiale, les espaces sous-marins seront aussi des théâtres d'investissements supplémentaires. Nous poursuivrons l'effort d'innovation face aux ruptures technologiques qui arrivent parce qu'il faut anticiper les points tournants. À cet égard, je sais la forte impulsion du ministère face à l'avènement de l'intelligence artificielle générative et la prise en compte du besoin en drones et robots, dont la plus-value est clairement validée par les conflits qui nous entourent. Nous sommes au début d'une véritable révolution technologique et capacitaire et nous verrons sans doute dans les prochains mois, sur le théâtre ukrainien comme au Proche Orient, des dispositifs tout à la fois très rustiques et très innovants, avec des drones à faible coût, produits en masse et de l'intelligence artificielle changeant totalement les modes opératoires.
Nous nous y préparons. Plus que ça, nous investissons, nous déployons et nous déploierons cette année, là aussi dans ce champ. Nos armées vont à ce titre être équipées de nouveaux drones navals et aériens dès 2024. Au-delà de ces grands éléments, un effort supplémentaire sera conduit sur la préparation opérationnelle des forces. Nos stocks de munitions vont être relevés pour 1,5 milliard d'euros sur cette année et l'entretien du matériel amélioré et les infrastructures régénérées. Et vous le voyez là aussi sur le capacitaire, c'est toute la gamme de l'action, de l'innovation à la complétude, justement, de nos capacités, jusqu'à la régénération la plus élémentaire de celle-ci. Cet effort était pour la nation une obligation. C'est vous tous qu'il oblige désormais. Il oblige les armées et les services de renseignement, mieux équipés, durcis, réactifs, qui intègrent les bouleversements en cours. Il oblige des industriels engagés dans la montée en puissance de cette économie de guerre que j'évoque depuis 2022 et qui commence à produire des effets. Même si parfois nous sommes encore dans les à-coups, voire la communication. Nous devons passer à une réalité systémique et systématique. Je vous le dis avec clarté, mais aussi avec gravité. Certains ont cru pouvoir tirer des dividendes de la paix, en attendant de l'Etat qu'il soit en quelque sorte à lui seul un banquier, un investisseur et un assureur. Il y a eu des années confortables parfois. Nous avons connu, ce faisant, une forme d'engourdissement satisfait qui nous permettait de conserver un très haut niveau de qualité, très élevé mais cher, coûteux, à petit flux, à petite innovation, parce qu'il y avait en quelque sorte un client qui était l'agent export, le garant et l'acheteur si l'export ne marchait pas. Ce monde ne le permet plus.
Un an et demi après le lancement du chantier économie de guerre à Eurosatory, nous avons des premiers résultats et je vous en remercie. Ce qui a été réalisé sur les délais de production du Caesar par exemple, divisé par deux, sur les cadences de production du missile Mistral de l'avion Rafale ou des radars de Thalès - cadence multipliée par deux - est la meilleure des réponses à ceux qui nous disaient que rien n'était possible. Donc on ne pouvait rien améliorer. Nous avons drastiquement changé les choses. Les entreprises qui ont pris des risques dès juin 2022, qu'elles soient établies, que ce soient des grands groupes internationaux qui ont su se remettre en cause, mais aussi et souvent les startups, les PME, ce sont celles qui sont en capacité de répondre à des besoins urgents pour nos armées, pour l'Ukraine ou pour d'autres pays partenaires. C'est bon pour la sécurité collective, c'est bon pour le développement de nos entreprises. D'autres ont tardé à comprendre le changement de contexte stratégique, l'importance de pouvoir livrer vite. Elles ont, depuis un an et demi, manqué parfois des contrats et je le regrette. Mais ce qui est attendu de chacun, c'est au fond de gagner en rapidité, en volume, en innovation, et de savoir différencier les choses et de gagner aussi, partout où c'est nécessaire, en rusticité, de savoir faire de la série longue, et de sortir d'un temps où les spécificités se redéfinissaient chaque année pour pouvoir monter les prix, mais ce faisant gagnaient en lenteur. Nous devons amplifier la transformation commencée. Je demande à chaque patron d'être totalement concentré sur les enjeux de production et d'approvisionnement. Il ne faut plus jamais se satisfaire de délais de production qui s'étalent sur plusieurs années. Il faut que le pilotage des chaînes de sous-traitance, composées de centaines de PME formidables, soit précis et puissant, tout en réduisant les dépendances qu'on ne souhaite plus avoir. C'est tout l'enjeu du chantier de relocalisation qui participe de ce travail. Cette culture de la production doit irriguer toute l'industrie de défense et bien sûr la DGA, qui est chargée, sous l'autorité du ministre, de piloter notre BITD.
Pour les équipements de notre défense, cela signifie également la mobilisation des dirigeants et des équipes sur l'efficacité et la performance, pour changer de paradigme. Il s'agit maintenant de répondre en boucle courte aux besoins de nos armées, comme ceux de nos alliés et partenaires qui sont aujourd'hui au front. Le pilotage par les délais est vital. Il ne faut plus compter en années, mais en mois et semaines. Le choix et la maîtrise des coûts est un impératif. Les coûts de chaque composant acheté, de chaque heure facturée, de chaque taux horaire doivent être pilotés et non subis. Et si le devis est trop élevé à cause de spécifications ou d'attentes déraisonnables, c'est votre devoir de citoyen que de le dire, car chaque euro de la LPM doit être un euro utile, et de le faire en lien étroit avec nos armées, qui sauront, au regard de leurs besoins des théâtres d'opération, nous aider à cette adaptation permanente.
Les grandes aventures sont collectives et en matière d'économie de guerre, l'avenir passe, là aussi, par des alliances et des partenariats. Je pense au premier chef, à notre Europe, qui doit plus et mieux constituer le cadre stratégique de la base industrielle et technologique de défense. Ceci doit nous conduire à avancer. Nous avons beaucoup progressé ces dernières années - un fonds européen, des programmes -, mais il nous faut aller vers plus de standardisation. Pour ne pas la subir, il faut la penser, l'organiser, au fond, la mener. Mais nous avons aussi d'ores et déjà des programmes importants et des alliances avec plusieurs Européens : CAMO, partenariat auquel nous tenons, ô combien, avec nos amis belges, le SCAF, avec nos partenaires allemand et espagnol et tous ceux qui souhaiteront le rejoindre en Europe. Je mesure combien, dans ce contexte, l'Etat doit également agir et penser en mode économie de guerre. J'ai exprimé très clairement mes attentes au nouveau Gouvernement. J'attends un effort pour libérer les énergies, réduire les contraintes qui pèsent sur ceux qui entreprennent, éliminer les sédiments accumulés par des années d'atonie. C'est là aussi un impératif et il nous faut, dans tous les domaines, revoir les lenteurs, les délais, les procédures, les revisiter pour gagner en efficacité.
Mais au-delà de ce qui nous attend pour 2024, de ces grands théâtres d'opérations, au-delà de cette économie de guerre, et de ce que nous allons déployer de capacités et de grands projets, le plus important, je vous le redis avec solennité et constance, tout particulièrement en ce début d'année, c'est l'engagement des femmes et des hommes dans nos armées, avec ce qu'il implique de force morale. C'est presque une évidence que de l'énoncer, mais je le dis ici à Cherbourg, où sont formés des femmes et des hommes chargés de la plus radicale et de la plus métaphysique des fonctions stratégiques : notre dissuasion. Ces forces, vous en avez besoin pour l'accomplissement de vos missions. J'y veille donc, car c'est bien le chef de l'Etat qui est garant de la cohérence de la condition militaire. Force morale est ce que j'attends de vous, mais va avec la singularité de votre engagement, sa militarité. Et c'est pour cela qu'il me revient que le HCECM, chaque année, puisse conduire ces travaux et que ces derniers soient scrupuleusement suivis. J'ai tenu à marquer les 50 ans du Conseil supérieur de la fonction militaire aussi, en 2020. Et le modèle d'appréciation de la condition militaire et de concertation est pertinent. Il est écouté et entendu. Il permet, dans un contexte de tension sur la fidélisation, de mieux comprendre les sujétions, comme la mobilité, d'améliorer les conditions de travail et de vie, de dynamiser, d'individualiser les parcours professionnels, de veiller à la famille, d'assurer une juste rémunération, sans décrochage. Comptez sur moi pour rester attentif aux signaux, aux messages des chefs militaires qui portent vos préoccupations, aux études et aux analyses indépendantes du HCECM, aux réflexions des conseils veillant sur la fonction militaire.
Militarité, attractivité, fidélisation doivent se combiner, car c'est cela qui constitue la force de notre modèle. Gardien des fondamentaux de cette condition, je suis attentif aux adaptations que la conjoncture et les évolutions de la société appellent. Nous devons garantir aux armées une condition militaire ajustée aux enjeux. Mesdames et Messieurs, la France est une grande Nation, dont l'histoire est faite de régénération. À chaque inflexion de notre histoire, sur les ruines de Sedan, au lendemain de la Libération, au lendemain des décolonisations, les armées ont su s'adapter pour répondre à leurs missions, servir aussi de creuset à la cohésion nationale. En cette année des 80 ans de la Libération, les hommages que nous rendrons à nos aînés dans l'Histoire, à ceux dont nous sommes les héritiers, nous le rappellerons. À ce titre, les commémorations du Débarquement, je le disais, se préparent et je veux remercier la secrétaire d'Etat, Patricia Mirallès pour son travail. Remercier aussi le travail de la mission dotée par Philippe Etienne, qui permet de préparer, avec nombre d'élus locaux, ces cérémonies. Notre temps impose de replacer le combattant au coeur de nos attentions. C'est une satisfaction pour moi de constater que cet esprit irrigue largement le ministère. Mais il faut aussi l'adapter à son temps, le départir des freins et complexités qui se sont développés dans des logiques d'optimisation, d'économie, parfois d'hyper spécialisation, de relation client-fournisseur au sein du même groupe. Il faut revenir à l'essentiel, permettre à chaque soldat, marin, aviateur de réussir la mission que la Nation lui confie. Ce fil rouge ne peut être rompu. Le tragique de notre histoire nous l'enseigne. Aussi, forts de ce legs, demain comme hier, vous aurez un rôle important à jouer dans la cohésion de la Nation, par vos compétences comme par les messages que vous véhiculez. Car les forces morales, ce sont aussi celles que vous pouvez communiquer en retour à la Nation. Porteurs d'un héritage séculaire de la mémoire des anciens, de leurs efforts et de leurs sacrifices, vous savez sans doute plus que d'autres ce que donner du sens et transmettre signifie. Et la société attend ces valeurs dont vous êtes les dépositaires essentiels et qui ne prennent sens que si vous les propagez. Je pense en particulier à la capacité des militaires à enrichir le service national universel, qui connaîtra une impulsion importante dans les semaines à venir. C'est un impératif pour consolider une société déterminée à faire face à son destin, dans un monde et dans une société où les forces centrifuges se renforcent. Les combats ne sont pas ceux du passé. La force d'âme des Français doit perdurer et perdure avec vous. Je le sais. Vos pavillons, vos fanions, vos étendards flottent sur le monde. Ils sont aussi des bannières d'engagement et de service auxquels les Français pourront toujours se rallier. Et donc votre rôle, l'inspiration, votre participation au SNU, l'importance de la réserve, tout ce que nous avons déployé de mobilisation dans lesquels nos armées jouent un rôle essentiel sera déterminant pour les années à venir.
Soldats, marins, aviateurs, personnels civils de la Défense, industriels, dans la confiance, je vous souhaite, je nous souhaite une année 2024 de résolutions, de détermination et de fierté. Fierté, qui j'espère est la vôtre, de servir la Nation. Fierté, je vous le dis encore une fois aujourd'hui, qui est la mienne d'être là devant vous et d'avoir cette responsabilité éminente que les Français m'ont confiée, fiers de vous et de ce que vous faites.
Vive la République ! Vive la France !./.
(Source : site Internet de la présidence de la République)
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