4. Ukraine - Entretien de M. Gaël Veyssière, ambassadeur de France en Ukraine, avec "France Info" (Paris, 02/01/2024)
Q - Bonjour, Gaël Veyssière...
R - Bonjour.
Q - ...et bienvenue sur "France Info". Je précise que vous ne vous trouvez pas à Kiev au moment où nous nous parlons. Est-ce que vous avez tout de même des nouvelles de vos équipes de l'ambassade, alors que la nuit a été particulièrement difficile ?
R - Oui, bien sûr. Ils sont toujours aux abris. Il y a eu plusieurs salves d'attaques depuis 2h30 ce matin, qui se sont échelonnées, régulièrement. Et voilà, la population, comme l'ambassade, est naturellement aux abris. Il pourrait y avoir encore une vague de missiles, me dit-on, qui arriverait prochainement sur les villes. Kiev n'est naturellement pas la seule ville touchée ; beaucoup d'autres grandes villes ukrainiennes sont touchées. Et comme vous l'avez dit, il y a vraiment une masse d'attaques dans les jours récents. Le 29, c'était quasiment un record par le nombre de missiles tirés. Le 31, c'était un record par la durée des frappes de drones ; et aujourd'hui encore, des frappes majeures.
Q - Est-ce que quelque chose est en train de changer ? Est-ce que la stratégie russe évolue ? Est-ce que la terreur grandit encore un peu plus ?
R - Les Ukrainiens font preuve d'une résilience vraiment extraordinaire. La terreur russe, et celle de Vladimir Poutine, est bien connue en Ukraine. Les gens tiennent, les gens font front, les gens sont déterminés. Ce n'est pas un changement de nature, malheureusement. Ça rappelle la réalité de ce qu'est ce conflit. Et ça remet aussi les choses en perspective, à savoir qui est la victime et qui est le bourreau, qui est l'agresseur et qui est l'agressé. Et ça permet aussi de voir la réalité des choses.
Q - En retour, Volodymyr Zelensky a eu des propos véhéments. Lui aussi a promis de "ravager les forces russes", a lancé une attaque meurtrière en Russie sur la ville de Belgorod. A-t-il les moyens de ses ambitions, aujourd'hui, le président ukrainien ?
R - Les Ukrainiens se défendent. Ils se défendent d'ailleurs conformément à la Charte des Nations unies, même si, bien entendu, toutes les parties doivent respecter le droit international humanitaire. Mais encore une fois, on ne peut pas mettre les deux belligérants sur le même pied : il y a une victime et il y a un bourreau. Après, a-t-il les moyens ? L'Ukraine a les moyens, elle développe des moyens. Elle n'en a manifestement pas encore assez. C'est ce qu'elle essaye de faire. Le président Zelensky a notamment annoncé qu'il allait produire... enfin, que l'Ukraine allait produire 1 million de drones ukrainiens en 2024. Par ailleurs, l'Ukraine n'est pas seule. Elle est aidée par des pays amis et partenaires qui, notamment, l'aident à s'équiper en matériels militaires.
Q - Mais on a senti la crainte ukrainienne de voir ce soutien occidental s'étioler, ces dernières semaines.
R - Il y a une crainte, évidemment, ukrainienne, qui est due notamment aux difficultés à faire adopter certains paquets de soutien. On espère que, pour sortir de cette phase... -évidemment, je ne peux pas spéculer sur ce qui va se passer aux Etats-Unis- pour l'Union européenne, il y a eu quand même un très, très fort signal qui a été adressé par le Conseil européen le 14 décembre, avec la décision de principe d'ouvrir les négociations d'adhésion avec l'Ukraine. Et puis, vous le savez, il y aura un Conseil européen extraordinaire début février pour les questions financières de soutien à l'Ukraine.
Q - Vous parliez des drones. C'est le nerf de la guerre, aujourd'hui, ces munitions, ces armements. Est-ce que les livraisons européennes se poursuivent ? Est- ce que les livraisons françaises continuent ?
R - L'appui français en matière de fourniture de matériels militaires, naturellement, continue, il se poursuit. Il va changer progressivement de nature, puisque l'objectif, c'est de produire plus de biens militaires, d'armes, en Ukraine, sur le territoire même de l'Ukraine, plutôt que de procéder uniquement par des dons ou par des achats. Mais naturellement, il faut un peu de temps pour basculer d'une stratégie à l'autre. Et c'est aussi ce que fait l'Union européenne.
Q - Qu'est-ce qu'on va produire en Ukraine ?
R - Alors là, je n'ai pas d'annonce à vous faire sur ce sujet ce matin. Mais le ministre des Armées s'était rendu à Kiev avec 19 chefs d'entreprise. Et par ailleurs, il y a un portage politique de cette vision-là qui est assuré notamment par Catherine Colonna qui se rend, comme vous le savez, régulièrement en Ukraine, puisqu'elle a déjà effectué cinq visites en Ukraine.
Q - Est ce qu'il y en aura d'autres ? Est-ce qu'Emmanuel Macron a prévu de rendre visite à Volodymyr Zelensky ? Est-ce que le président ukrainien envisage de passer par Paris ?
R - Pour l'instant, nous travaillons à une sixième - puisque Catherine Colonna a fait cinq visites en Ukraine -, visite de Catherine Colonna dans les prochains jours ; on ne peut pas encore vous annoncer la date, mais dans les prochains jours. Bien sûr, il y aura d'autres visites, nous travaillons aussi à d'autres visites. Mais ce qui est très important, c'est de marquer quotidiennement la proximité et la solidarité de la France, de travailler avec les Ukrainiens sur la façon dont nous pouvons les accompagner au mieux, et puis de préparer les grandes échéances internationales, notamment le Conseil européen dont je parlais.
Q - Des échéances, il y en a aussi du point de vue électoral, cette année, et ce sera sans doute crucial : élections européennes en juin ; élections américaines, notamment, au mois de novembre. Est-ce que l'avenir de Kiev se jouera d'une certaine manière à Strasbourg et à Washington ?
R - Vous savez, l'avenir d'un pays se joue toujours en lui-même, et au fond, on l'oublie peut-être, mais au cours des premières heures de l'attaque russe du 24 février 2022, l'Ukraine était seule par définition. Elle n'avait pas encore le soutien international dont elle a bénéficié. Et elle a pu tenir. Donc l'avenir de l'Ukraine existe d'abord en Ukraine. Mais évidemment, les partenaires ont un rôle à jouer. Et en ce qui me concerne, nous sommes déterminés à continuer à appuyer l'Ukraine, à soutenir l'Ukraine. Et je pense que c'est évidemment, bien sûr, l'approche de nos partenaires, y compris l'administration américaine.
Q - Soyons clairs, Gaël Veyssière, la crainte de Kiev, c'est de voir Donald Trump revenir au pouvoir du côté de la Maison-Blanche, parce qu'il s'entend bien avec Vladimir Poutine, c'est de voir la droite ou l'extrême droite prendre plus de place au Parlement européen. Est-ce que l'année 2024 est décisive, parce qu'après, il pourrait être trop tard ?
R - L'année 2024 est importante. Elle est importante parce que, évidemment, il y a des échéances politiques - vous les avez rappelées -, mais aussi parce que c'est l'année où les Ukrainiens... où la production d'armes en Ukraine doit augmenter et où l'Ukraine doit pouvoir de plus en plus compter sur ses propres ressources, ou sur les ressources qui sont produites, en tout cas, sur son territoire. Et c'est ça, c'est la bascule qui est importante, qui rend cette année stratégique. Mais aujourd'hui, naturellement, ce qui compte, et c'est la clef absolue de tout, c'est la résilience et la détermination du peuple ukrainien. Et je peux vous dire qu'elle est au rendez-vous
Q - Gaël Veyssière, ambassadeur de France en Ukraine, grand témoin de "France Info" ce matin. Merci d'avoir été avec nous, en pleine préparation, on l'a compris, de la visite dans les prochains jours à Kiev de la ministre française des affaires étrangères./.
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