Monday, February 19, 2024

Allemagne - Pologne - Triangle de Weimar - Conférence de presse conjointe de M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, de Mme Annalena Baerbock, ministre des Affaires étrangères de la République fédérale d'Allemagne, et de M. Radoslaw Sikorski, ministre des Affaires étrangères de la République de Pologne - Propos de M. Stéphane Séjourné (La Celle-Saint-Cloud, 12/02/2024)

 Allemagne - Pologne - Triangle de Weimar - Conférence de presse conjointe de M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, de Mme Annalena Baerbock, ministre des Affaires étrangères de la République fédérale d'Allemagne, et de M. Radoslaw Sikorski, ministre des Affaires étrangères de la République de Pologne - Propos de M. Stéphane Séjourné (La Celle-Saint-Cloud, 12/02/2024)


Madame la Ministre, chère Annalena

Monsieur le Ministre, cher Radek,

Mesdames et Messieurs,

C'est un honneur pour moi d'accueillir ici, à la Celle-Saint-Cloud, cette réunion des ministres des Affaires étrangères du triangle de Weimar. Dans ce lieu, des dirigeants de notre monde et des diplomates ont beaucoup dialogué. Leurs mots, leur volonté et leur engagement habitent ce lieu. Ils ont souvent cherché la paix. Et je vous remercie de votre présence à La Celle-Saint-Cloud, qui nous permet également d'avoir des discussions dans un cadre qui est aussi symbolique pour la France.

Dans ce lieu, je vous le disais, il était donc naturel de réunir le triangle de Weimar. Nos conversations, nos convergences, nos coopérations sont des sujets de progrès européen depuis maintenant trente ans. Le projet européen est également un projet de paix. La France, l'Allemagne, la Pologne sont trois contributeurs majeurs du débat européen. Parce que la guerre en Ukraine a tout changé et parce que l'heure est critique, nous disons ensemble que l'Europe est à un tournant et qu'il faut lui donner une nouvelle énergie. Nous nous retrouvons dans cet état d'esprit, au début de cette année charnière pour l'Europe. Le séisme de la guerre d'agression russe en Ukraine n'en a pas fini de produire ses répliques.

En plus de piétiner les principes fondamentaux de l'ordre international, la Russie cherche à détruire l'unité européenne, pire, elle veut épuiser nos démocraties en trompant nos esprits, en brouillant la limite du vrai et du faux, en manipulant l'information aussi. Vous le savez, début juin, 400 millions d'électeurs seront appelés aux urnes pour exprimer librement leur vote. La Russie cherchera à voler ce droit en leur volant le débat démocratique ; et nous sommes mobilisés pour protéger nos citoyens contre les manipulations de l'information.

C'est peut-être le premier point que j'aborderais, très concrètement : nous lançons aujourd'hui, avec mes homologues allemande et polonais, un mécanisme d'alerte en format Weimar, un système de riposte pour dénoncer publiquement les ingérences étrangères. Elles sont inacceptables et nous mobiliserons tous les leviers pour à la fois les détecter, les qualifier, les dénoncer et faire connaître très largement dans l'opinion publique européenne le constat qu'il y a une dynamique de ce côté-là.

Nous sommes prêts à réagir pour défendre nos démocraties, nous venons d'exposer ce matin un réseau d'au moins 193 portails d'information numérique dormants. Ces sites devaient viraliser des contenus prorusses dans nos trois pays. Je le redis, c'est inacceptable, et nous continuerons à le dénoncer. Un dossier de presse est à votre disposition pour avoir toutes les informations sur ce processus.

Nous nous engageons aussi, France, Allemagne et Pologne pour approfondir l'unité européenne, gage de souveraineté de nos peuples. Nous sommes à la croisée des chemins. La France, l'Allemagne et la Pologne seront force de proposition pour une Europe plus forte, plus autonome, plus souveraine, plus juste aussi ; pour une Europe qui protège. Et très concrètement, nous souhaitons, ensemble, renforcer d'abord le soutien à l'Ukraine. C'était une des discussions que nous avons eues, cet après-midi, pour la poursuite de notre soutien militaire, ce qui est essentiel pour faire la différence. Nos trois gouvernements sont particulièrement mobilisés sur ce sujet : pour approfondir la défense européenne. Les événements récents démontrent la nécessité de renforcer notre industrie de défense européenne pour pouvoir davantage aider l'Ukraine.

Ainsi, nous contribuerons au renforcement du pilier européen de l'Alliance atlantique. Vous le savez, la France est particulièrement engagée sur le flanc Est de notre continent, avec des déploiements en Estonie et en Roumanie. En mars, notre armée participera d'ailleurs activement à l'exercice Dragon-24, cher Radek, en Pologne. Partout où il le faudra sur le continent européen, nous défendrons la paix.

Chacun a pu entendre les propos du candidat à l'investiture républicaine, ces derniers jours. Je ne me résigne pas, de mon côté, à convaincre tous les dirigeants de la pertinence de notre alliance, qui fonctionne d'ailleurs au bénéfice de tous, et j'ai envie de dire également au bénéfice des Etats-Unis. Toutefois, chaque minute compte pour préparer les Européens à absorber le choc du scénario qui a été décrit par Donald Trump. Nous ferons un travail commun, dans cette période, pour analyser le contexte d'après, et notamment le contexte des élections américaines.

Autre travail en commun à faire : faire converger nos forces pour trouver des solutions dans une crise au Proche-Orient.

C'était aussi un des sujets de discussion: renouveler nos partenariats avec l'Afrique. Nous aborderons ce sujet dans les prochaines heures, dans une prochaine réunion, après cette conférence de presse. C'est un continent qui compte de plus en plus dans les équilibres du monde. C'est aussi un continent avec lequel nous avons des défis communs à relever. Je pense notamment à la lutte contre le terrorisme, à la maîtrise des flux migratoires, à la défense de nos valeurs démocratiques. Comme partout ailleurs dans le monde, nous devons construire des partenariats qui soient respectueux, d'égal à égal, réciproques, où chacun assume ses intérêts.

Enfin, renforcer l'Union européenne. Une Europe élargie doit être plus efficace et plus stratégique. Nous travaillerons également ensemble dans ce sens, et au-delà de toutes ces réponses aux menaces immédiates qui planent sur nos sociétés démocratiques, nous souhaitons, avec Annalena Baerbock et Radek Sikorski, travailler davantage encore à ce que nos sociétés se comprennent et se connaissent mieux.

Ce Triangle de Weimar, ce sont aussi des initiatives très concrètes :

Un Weimar pour nos jeunes et pour l'excellence. Nous renforcerons nos liens entre nos jeunesses en lançant de nouvelles coopérations académiques et sportives.

Un Weimar pour la culture, pour protéger les artistes ukrainiens, biélorusses, russes, exilés, en leur permettant de créer malgré leur exil.

Un Weimar pour l'avenir. Nous faciliterons aussi les échanges et les consultations entre nos services de planification stratégique et nos experts sur les grands enjeux européens et internationaux, importants pour nos pays et pour l'Union européenne en 2024.

Voilà, je voudrais remercier encore une fois les ministres Baerbock et Sikorski pour leur participation à ces échanges qui, je pense, ne font que commencer.

Je vous remercie.

Q - Nous avons entendu ce qu'a dit Trump ce week-end. Quels sont les plans concrets que vous avez évoqués aujourd'hui pour que l'Europe soit à la fois plus souveraine et plus autonome, en matière de défense et de sécurité ? Vous avez évoqué l'union, mais là je ne pense pas uniquement à l'industrie de l'armement, mais à la planification stratégique, la France est une puissance nucléaire ; est-ce que vous êtes prêts à partager un petit peu de ce pouvoir avec les autres ?

(...)

R - Merci. Je ne retirerais rien au sens de l'Histoire qu'est la construction de la défense européenne, mais tous les quatre ans, l'Europe ne peut pas se payer le luxe de réfléchir à sa propre sécurité et d'être dépendante d'une élection extérieure. C'est notre sentiment. Et donc, oui, il nous faut une deuxième assurance-vie, pas en substitution, pas contre l'OTAN, mais en addition. Je pense que là-dessus, nous sommes totalement d'accord. Cela veut dire d'abord agir sur le pilier européen de l'OTAN, et puis cela veut dire aussi, nous-mêmes, construire une industrie de défense, nous-mêmes acheter en Européens, dans le cadre de nos industries de défense. Et puis cela veut dire également se préparer en cas de conflit. Donc c'est le sens de l'Histoire, et comme je l'ai dit, il n'y a pas d'ingérence à avoir dans l'élection américaine.

Et d'ailleurs, je le disais en introduction : je ne me résigne pas à pouvoir convaincre l'ensemble des candidats, y compris à l'élection américaine, de la pertinence de l'OTAN, du soutien à l'Ukraine et de notre sécurité collective, parce qu'il en va de leur sécurité collective également.

Mais effectivement, rien ne doit nous empêcher non plus de préparer en Européens, et d'absorber aujourd'hui le choc du scénario décrit par Donald Trump. En Européens. Et donc cela va être cela, l'enjeu, pour nous, et il faudra le faire dans un temps record, puisque chaque minute compte. Nous avons perdu beaucoup de temps sur le volet européen à cause, je pense, de débats qui n'étaient pas forcément les bons débats. Et donc je proposais justement à mes collègues de passer des positions aux solutions. Il nous faut donc maintenant des solutions sur le volet défense européenne.

Pour ce qui est de la dissuasion nucléaire, elle est du domaine, en France, du Président de la République, et je laisserai le Président de la République aborder le sujet s'il le souhaite.

Q - Philippe Ricard pour Le journal le Monde. Je voulais savoir ce que vous pouviez nous dire à propos du mécanisme d'alerte contre la désinformation, qu'est-ce que ça veut dire concrètement ? Qu'est-ce que ça peut apporter de travailler entre nos trois pays sur le sujet, plutôt qu'au niveau de l'union européenne par exemple, à 27 ?

Sur un autre sujet, cela concerne le Proche-Orient, est-ce que vous jugez chacun et est-ce que le groupe de Weimar juge ensemble qu'il serait "terrifiant qu'Israël lance une offensive contre Rafah", je reprends les mots du haut-commissaire des Nations unies pour les droits de l'Homme ? Et je voulais savoir aussi si la France vous a présenté les idées qu'elle a mis sur la table à propos du Liban, savoir si les uns et les autres soutiennent cet engagement français et ces propositions.

R - D'abord sur la désinformation et sur les attaques, nous sommes en période de vulnérabilité avec les élections européennes, et pour ce qui est de la France, l'organisation des Jeux olympiques.

À trois pays nous représentons 200 millions d'habitants, près de la moitié des citoyens européens, et nous avons considéré qu'une partie des dispositifs mis en place par des acteurs russes pour toucher à la fois les élections européennes avec des ingérences, des attaques informationnelles ou des attaques informatiques, visait nos trois pays. Parfois de manière indépendante, parfois de manière collective, c'est le cas dans le dossier de presse que vous avez au sujet des 193 sites Internet, qui étaient prêts à être activés, et dont l'information fallacieuse devait être viralisée dans la sphère Internet, pour pouvoir passer, y compris chez vous, dans des journaux qui permettent de relayer de fausses informations.

Il nous faut pouvoir démontrer que cela existe, que cela est factuel, que ce ne sont pas des arguments de campagne électorale, pour ce qui nous concerne, y compris entre Radek et Annalena, on fait partie de groupes politiques différents au Parlement européen, on a des engagements, et peut-être ce qui nous rassemble, c'est notre capacité à porter les convictions pro-européennes.

Il ne s'agit pas ici d'arguments électoraux mais d'arguments factuels. Donc il nous a paru intéressant et important de pouvoir le faire en format à trois, puisque nos différents pays sont concernés, souvent par les mêmes organisations et souvent par les mêmes dispositifs en même temps. Donc c'est cela que nous avons organisé, et ce dispositif permettra, comme je vous l'ai dit, à la fois de détecter, donc d'avoir une meilleure coordination entre nous, en même temps de pouvoir diffuser plus largement à la presse et de faire savoir à l'opinion publique que certaines informations et certains dispositifs existent via notre truchement et via le truchement des médias, qui sont eux, dans l'ADN de ce qu'est l'Union européenne, c'est-à-dire libres et indépendants de pouvoir relayer aussi ces informations.

Ça, c'est l'objectif, et je pense que le faire à trois a une forme d'efficacité importante.

(...)

Oui, de la même manière, cette situation, si elle était avérée, serait injustifiable. De notre côté, nous avons soutenu et nous soutiendrons l'ensemble des propositions politiques pour arriver à un cessez-le-feu durable. J'étais dans la région, la semaine dernière, nous avons fait l'ensemble de la tournée, à la fois des pays arabes et en même temps d'Israël jusqu'au Liban. Je constate qu'un certain nombre de pays arabes souhaitent faire des propositions de paix que nous soutiendrons et nous essayerons d'ailleurs de confronter les points de vue pour arriver à un consensus le plus large possible sur la situation. La situation humanitaire est catastrophique, cela a été rappelé d'ailleurs par Annalena. Pour ce qui est du Liban, vous le savez, la France a des intérêts directs au Liban, plus de 20 000 de nos compatriotes sont installés au Liban, 700 soldats français casques bleus participent notamment à la mission de maintien de paix et nous avons déjà eu en 2006 une expérience malheureuse sur le rapatriement d'un certain nombre de nos compatriotes, je dirais même de plusieurs dizaines de milliers de nos compatriotes.

Evidemment, nous avons fait des propositions lors de mon passage au Liban, nous sommes en contact avec les Américains, y compris dans la région. Je pense que c'est important qu'on puisse mutualiser l'ensemble des initiatives maintenant et de pouvoir construire le camp de la paix, j'ai envie de dire, puisqu'il s'agit de cela au Proche-Orient. Et donc, le camp de la paix doit se constituer avec toutes les bonnes volontés, avec, parfois des positions différentes, mais comme je le disais d'ailleurs sur le volet de la défense européenne, il faut passer des positions aux solutions. Et donc, nous construirons des solutions dans les prochains jours et dans les prochains mois.

Q - Monsieur le Ministre, l'opposition dit que vos relations avec Washington... pour construire de meilleures relations, et la construction avec la France et l'Allemagne, vous avez dit que la Pologne investit 3% de son PIB dans la défense, que de manière générale les pays de l'Est investissent davantage... alors, question : est-ce que l'Allemagne et la France ont finalement dépensé moins, comme l'a évoqué Donald Trump ?

(...)

R - Pour ce qui est de la France, la loi de programmation militaire a doublé les moyens du budget de la défense en France. Nous allons également continuer ce mouvement, tant sur le budget national que sur notre participation internationale et au niveau européen. Donc ce mouvement est enclenché, et pour ce qui est de mon pays, il sera au rendez-vous./.


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